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rigides dont elle n’a pu réussir encore à se débarrasser. Les Chinois ressemblent à des enfans très intelligens et très vieux. Voilà longtemps qu’ils ont atteint, semble-t-il, un i-oint de civilisation matérielle et morale où nous ne faisons que de toucher à peine, si même nous y sommes; seulement, ils s’y sont arrêtés, et, tant qu’ils continueront de vivre sur eux-mêmes, ils y resteront, comme ayant donné pour y parvenir tout ce qu’ils avaient effectivement en eux. C’est du moins ce que l’on peut conclure de l’histoire de leur théâtre. Au siècle des Youen, ils en étaient déjà où nous ne sommes arrivés que plusieurs siècles après eux, mais ils y sont toujours. Et si les ressemblances, comme on l’a vu, sont frappantes entre leurs pièces et les nôtres, à un moment quelconque de l’histoire de notre théâtre, elles le seraient bien plus encore si nous faisions la comparaison des drames des Youen à nos antiques moralités ou à nos drames du XVIe siècle. Dans l’histoire générale de la littérature comme dans l’histoire naturelle, presque toutes les questions de race et de milieu se ramènent à des questions de moment.

Il n’y aurait pas jusqu’aux renseignemens qu’on nous donne sur les conditions matérielles du théâtre chinois qui ne servissent à justifier et fortifier cette indication. Le divertissement du théâtre n’est nulle part plus répandu, nous dit-on, ni nulle part plus passionnément goûté. Cependant il n’y a pas en Chine de théâtres fixes ni de troupes régulières. Les comédiens vont de ville en ville, un peu à l’aventure, dressent leurs tréteaux sur la place publique, avec l’agrément ou sur l’invitation des autorités locales, donnent des représentations à domicile, se contentent, comme leurs spectateurs, d’une toile de fond pour tout décor, et au besoin suppléent le paysage, la forêt, le palais, les tapis, les meubles qui leur manquent par une pompeuse annonce. « Ainsi, dit M. Tcheng-ki-tong, notre public entre instantanément en communication avec la fiction du poète... Ainsi le spectateur ne subit pas l’action, il la conduit lui-même... Ainsi l’idéal devient le réel, sans plus d’efforts qu’il n’en coûte à la volonté pour créer une illusion. » Ce petit morceau, que j’abrège, est à coup sûr d’un homme d’esprit, et je me suis un instant demandé si cet homme d’esprit n’avait pas raison. Quand le spectateur, comme aujourd’hui, va chercher au théâtre, avant tout, le plaisir des yeux, ne s’intéresse pas moins aux costumes qu’au dialogue et pardonne, en quelque sorte, la puérilité, la faiblesse, l’invraisemblance de l’intrigue à la vérité de la couleur locale ou du décor historique, l’art dramatique est bien malade, et l’on peut bien encore l’aimer et l’aimer passionnément, mais ce n’est plus pour lui-même. Il n’est pas moins vrai que. Français ou Allemands, Anglais ou Espagnols, tous ces détails que l’un nous donne ici sur les conditions matérielles de la scène chinoise nous reportent au temps de ce que nous appelons