Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notable partie de l’Europe. Mais ce crayon, qui est fort intelligent, sait très bien que l’argent est le nerf de la politique, et que les Allemands de la fin du XIXe siècle considéreraient comme du bien mal acquis les ressources qu’un gouvernement serait tenté de se procurer sans avoir au préalable exposé ses besoins à une assemblée. Avec quelque âpreté que M. de Bismarck s’exprime sur le compte de ses parlemens, il ne leur enverra jamais les quatre hommes et le caporal qui exécutent les coups d’état. Et d’ailleurs, s’il s’avisait de les dissoudre, quel emploi trouverait-il à son merveilleux talent de coquetterie souveraine et dédaigneuse, à son éloquence tour à tour abandonnée ou savante, qui mêlant le rire aux colères, la séduction aux menaces, finit toujours par dompter une majorité indocile et la prend par force ou par ruse? Si pacifique qu’il soit, cette gymnastique fait partie de son hygiène, et ses ennemis, M. Richter comme M. Windthorst, sont nécessaires à son bonheur.

Quand il a insinué qu’il ne tenait qu’aux gouvernemens confédérés de s’entendre et de se concerter pour obtenir de leurs diètes les secours et les lois de rigueur que le parlement impérial leur refuse, il ne pensait pas à violer la constitution et sa menace n’était pas sérieuse. Il se proposait seulement d’assouplir des esprits trop durs, de rendre le Reichstag plus docile en lui inspirant des inquiétudes, en lui persuadant qu’il trouverait des expédiens pour arriver à se passer de ses services. Il compte sur l’effet de cette menace, il compte aussi que le parti catholique ne tardera pas à se désunir, et, désormais, il aura carte blanche. Comme le disait le grand Frédéric, « Robin revient toujours à ses moutons.» Si le Reichstag vote le monopole de l’alcool, le chancelier lui rendra ses bonnes grâces en lui disant :


Ma haine est un effet d’un amour irrité.


Que si cette assemblée voulait effacer jusqu’aux dernières traces d’une aventure malheureuse, expier le forfait qu’elle a commis en s’opposant à la suppression du Polonais, il lui suffirait de prendre l’initiative d’un projet de loi contre tous les sujets allemands qui se permettent d’avoir l’esprit tourné vers le passé et de n’être pas absolument contens de leur sort. Ce projet de loi pourrait être ainsi conçu : u Dans toute l’étendue de l’empire allemand, mais surtout dans les provinces frontières de l’est et de l’ouest, sous peine de bannissement ou d’expropriation, il est interdit à quiconque de se souvenir et de rien regretter comme de rien espérer. »


G. VALBERT.