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dissoudra, chacun suivra le courant de ses sympathies naturelles, on verra bientôt l’armée se débander; M. Windthorst sera un général sans troupes, ou les instructions qu’il recevra de Rome lui enjoindront de poser les armes, de sceller le traité de réconciliation par quelque acte de déférence ou par quelque tour de souplesse. On tient la chose pour sûre, et en sacrifiant les lois de mai, on a voulu se procurer le double avantage de réduire au désespoir le Polonais et de faire voter au Reichstag le monopole de l’eau-de-vie.

Les contradictions n’embarrassent guère M. de Bismarck. Il avait dit plus d’une fois que le plus grand ennemi de l’unité allemande était le particularisme prussien, et tout à coup, emporté par le dépit que lui causait l’opposition du Reichstag dans les affaires polonaises, il a fait casser son arrêt par la chambre prussienne, où depuis plusieurs années il ne daignait plus paraître. Qui pouvait s’attendre que ce serait le chancelier de l’empire qui, désavouant son œuvre, sa création, le fruit de ses entrailles, infligerait au parlement impérial une cruelle humiliation, lui reprocherait ses ingérences indiscrètes dans les affaires particulières des états et parlerait de rendre la Prusse aux Prussiens, la Saxe aux Saxons et la Bavière aux Bavarois? Comme le remarquait un journaliste de Berlin, il a descendu le drapeau allemand du palais où s’assemble le parlement allemand et il l’a hissé sur l’édifice du Dönhofsplatz, où siège la chambre des députés de Prusse. O polonophobie ! voilà de tes coups I

« En pensant au Reichstag, a-t-il dit à ses nouveaux amis, on pourrait nous appliquer l’image du colosse aux pieds d’argile. On se tromperait : derrière ces pieds d’argile, il y a des pieds de fer. » Et il n’a pas eu besoin d’expliquer à qui appartiennent ces pieds de fer. Il s’est empressé d’ajouter « qu’il tiendrait pour un misérable lâche tout ministre qui ne saurait pas risquer sa tête et son honneur pour sauver son pays, même contre la volonté aveugle des majorités. » Cette boutade, adressée à une chambre dont la majorité allait au-devant de ses désirs et s’offrait à servir ses passions, sans espoir de salaire, a pu sembler déplacée ; mais c’était au Reichstag qu’il en avait M. de Bismarck par le quelquefois à la cantonade, à ceux qui ne sont pas là, aux absens, qui souvent l’intéressent beaucoup plus que ceux qui sont là; car il faut lui rendre ce témoignage qu’il fait plus de cas de ses ennemis que de ses complaisans. La haine est plus près de l’amour que l’indifférence, et les injures dont on accable une maîtresse infidèle lui font sentir tout le prix qu’on attache à ses faveurs.

Peu s’en est fallu que M. de Bismarck ne déclarât que la constitution de l’empire, dont il est l’éditeur responsable, n’avait pas répondu à son attente, qu’il fallait la refaire, que le Reichstag était un grand empêchement, un triste sabot d’enrayage. Jéhovah se repent quelquefois