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Rien que fade galanterie ou sentimentalisme larmoyant ; aucun naturel, aucune originalité, nulle émotion, nul esprit.

Une fois cependant, à l’Opéra-Comique, Halévy eut tout cela : l’Éclair est presque un chef-d’œuvre. Ce petit opéra comique à quatre personnages, sans un seul chœur, pourrait se jouer entre deux paravens : c’est du théâtre intime, presque de la musique de chambre ; charmante exception dans l’œuvre un peu emphatique d’Halévy, véritable éclair, lumineux et court.

Cependant, malgré ses grâces, et par quelques-unes de ses grâces même, l’Éclair, qui fut joué en 1835, porte bien le cachet un peu vieillot de son temps, comme certaines toiles de M. Ingres. Aujourd’hui, cette musique et cette peinture semblent un peu passées : leurs ajustemens ne sont plus de mode. Les rondos de la sémillante Mme Darbel, la mélancolie de la sensible Henriette interrogeant, le soir, sa « lyre d’Eole, » tout cela fait sourire comme des parures d’aïeule. Nous parlions tout à l’heure de grands airs, c’est peut-être dans l’Éclair que se trouve le plus grand de tous, le type de la romance pour ainsi dire professionnelle. Toute une vie d’officier de marine y est détaillée : Parlons, la mer est belle ! Voici le départ du mousse, puis la rencontre d’un vaisseau ennemi ; préparatifs de combat : prière, lointain adieu à la patrie, à la mère, à la fiancée. La bataille s’engage ; musique imitative : partout le feu, la mort ; héroïsme du jeune homme. Enfin, la victoire est certaine ; les amis se retrouvent et s’embrassent, la fumée se dissipe, et, sur l’océan apaisé, la corvette, à pleines voiles, reprend sa course, et le ténor, à pleine voix, son refrain : Partons, la mer est belle !

Mais, ces critiques faites, il faut louer dans l’Eclair la tenue générale de l’œuvre et reconnaître la singulière séduction de ce quatuor en trois actes. La scène se passe dans un cottage voisin de Boston, et l’on sent bien dans cette musique le charme familier du home, de la petite maison anglaise, proprette et fleurie. C’est un aimable boy que George, ce Chérubin à peine échappé d’Oxford, amoureux de ses deux petites cousines. Ses premiers couplets : J’arrive, j’arrive auprès de vous, mes belles ! sont la perle de la partition. Ils ont une grâce juvénile et comme un parfum de flirt enfantin. Halévy ne donna jamais à sa mélodie un tour aussi distingué. Citons encore le trio pimpant qui vient après ; l’air pathétique de Lionel : Adieu clarté, douce lumière ; le duo de la leçon de chant, plein de sentiment et d’esprit ; la romance de Lionel : Quand de la nuit l’épais nuage, dont on a malheureusement abusé, et le quatuor du dernier acte, prestement dialogué. Toutes proportions gardées entre les œuvres et les hommes, comme l’auteur de