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Scribe, dit-il, où le romantisme de la vie des brigands se mêle au plus fin comique, où pour la première fois apparaît, dans un opéra, une nouvelle figure, celle de l’Anglais voyageur, ce livret a trouvé dans la musique d’Auber la plus heureuse illustration. » — Nous n’apercevons guère, dans Fra Diavolo, la couleur romantique. — Avec plus de raison, M. Hanslick loue Auber d’avoir évité l’exagération. Auber traitait de petits sujets, que parfois il rapetissait encore, mais sans jamais enfler la voix. Il ressemblait moins à l’oiseau des bois qu’à l’oiseau de Paris qui siffle en cage. Elles étaient bien faites pour son cher Paris, les mélodies d’Auber. Elles en avaient la grâce chantante, et même dansante. Parmi de mauvaises choses, Fra Diavolo en renferme de fort jolies : les couplets d’entrée de milady, le délicieux quintette du premier acte et le duo qui suit ; au second acte, un petit trio exquis : Allons, milord, allons dormir ! et la scène du coucher de Zerline ; au troisième acte, le chœur de Pâques fleuries et le carillon.

Haydée (1847) est une œuvre plus dramatique que Fra Diavolo; mais sans plus de couleur locale. Pas une fois cet opéra vénitien ne fait songer à Véronèse. Auber ne s’occupait guère des magnificences de la ville des doges. La brise des lagunes ne souffle pas dans les voiles de son vaisseau. On ne sent dans sa musique ni la fraîcheur, ni le balancement des vagues. A la fin du second acte, Venise apparaît à l’horizon. Le soir, la ville luit comme une améthyste, et l’Adriatique, où se mirent les coupoles d’étain et les clochers de briques roses, baise les pieds de marbre de sa fille bien-aimée. Auber n’a pas rendu ces splendeurs ; il ne les avait pas vues et ne les a pas devinées. A Venise sortant des flots il a consacré une petite valse, et voilà tout.

Heureusement il a pris ses personnages plus au sérieux que leur patrie. Ce n’est pas que « l’infernal Malipieri » soit beaucoup plus qu’un traître de mélodrame : toute la partie guerrière de l’ouvrage est vulgaire et presque ridicule ; mais, le rôle de Lorédan n’est pas sans noblesse. Le style d’Auber a été rarement aussi relevé que dans la scène finale du premier acte. Il y a là des accens pathétiques, des dissonances hardies et heureuses. L’air : Ah! que Venise est belle ! est plus qu’une barcarolle ordinaire ; il sent le grand seigneur et les fêtes patriciennes. Tout ce songe est bien traité, sans faiblesse ni banalité. La déclamation en est dramatique ; la phrase principale revient toujours plus sonore, plus puissante : c’est une belle page. D’autres l’entourent qui sont charmantes; par exemple le nocturne : c’est la fête au Lido, où deux voix de femmes s’enroulent autour d’un accompagnement gracieux. Citons encore, au déb)ut du premier acte, la phrase exquise de Lorédan à Rafaela, pénétrée