Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Dame blanche, l’ingénieux librettiste s’attendrit un peu ; aidé de Walter Scott, il atteignit à la poésie. Avec Meyerbeer, il s’ennoblit et s’éleva jusqu’au drame historique. Avec Auber, il put demeurer lui-même; Auber le prit tel qu’il était, et s’en accommoda. A l’exemple de son librettiste, le musicien ne força point son talent, et fit tout avec grâce.

Au moins ne fit-il rien sans quelque grâce. Dans la plus pâle de ses partitions, brillent toujours quelques points lumineux : le chœur des voleurs déguisés en moines, au premier acte des Diamans de la couronne, le chœur des ouvriers au début de la Fiancée ; au premier acte du Philtre, le chœur étincelant des paysannes agaçant le beau Guillaume, et le duo délicieux que chante Guillaume avec Térézine. Mais que de négligences, que de faiblesses au cours de ces ouvrages! Que de ritournelles bonnes à faire danser les chiens ou courir les chevaux !

Parfois on se laisse prendre au titre seul des opéras comiques d’Auber : ils ont toujours, sinon quelque chose de rare, au moins quelque chose d’élégant et de gracieux : la Fiancée, les Diamans de la couronne, Rêve d’amour, le Premier Jour de bonheur! Étiquettes mensongères ! Le nom seul a de la poésie. La poésie fut ce qui manqua le plus à Auber. Où l’eût-il trouvée? Il ignora toujours la nature, la douleur et la passion. Cette vie presque centenaire fut toute superficielle. Certes, Auber a personnifié quelques-unes de nos grâces et de nos séductions françaises : la clarté, l’esprit, la facilité ; mais il ne faut pas faire de lui le représentant de notre âme nationale. Elle a des profondeurs où jamais Auber n’est descendu, des mystères qu’il n’a pas entrevus. Il n’a rien dit des choses qui ne s’oublient pas. Il n’a rien soupçonné des vérités éternelles, ni des éternelles beautés.

A notre gré, les trois meilleurs opéras comiques d’Auber sont : Fra Diavolo, Haydée et le Domino noir, son chef-d’œuvre.

Fra Diavolo fut donné en 1830, un an avant Zampa. C’est aussi une histoire de brigands, mais tout autrement traitée. Auber se souciait peu du romantisme et des héros byroniens, des statues vengeresses et du feu céleste. Son Fra Diavolo n’a pas l’allure de Zampa. Il y a de l’un à l’autre la différence du brigand au voleur, de l’amour à la galanterie ; de l’œuvre ardente, et parfois presque héroïque, à la comédie musicale. A peine le héros élève-t-il le ton au début du troisième acte, dans la première phrase d’un air qui n’est pas sans noblesse : Je vois marcher sous ma bannière. Partout ailleurs il n’est qu’élégant et spirituel. Le critique allemand que nous citons volontiers à propos de notre musique française, M. Hanslick, est plus que bienveillant pour Fra Diavolo : « l’excellent livret de