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qu’il a précédés, et comme annoncés : même vérité d’ensemble et de détail pas un personnage qui ne porte le cachet du temps. Les rôles secondaires mêmes sont caractérisés. La reine a l’esprit, la malice de Margot, comme elle aimait d’être appelée, avec une exquise nuance de rêverie et de douceur. Lorsqu’elle s’explique avec Cantarelli dans le merveilleux trio du second acte, que de verve et d’entrain ! Et quelle tendresse câline avec la « gente Nicette, » sa filleule, dans cette phrase délicieusement modulée: Sais-tu pas combien je t’aime ?

Quand à Mergy, c’est le frère aîné de Raoul de Nangis, il a la même élégance patricienne. Il résume en lui toutes les grâces toutes les séductions de son époque, ce svelte gentilhomme auquel ne messied pas un peu de gravité huguenote. Rien n’a vieilli dans ce rôle, pas même le premier air; O ma tendre amie ! Il débute par un récitatif si dégagé ! le chant qui vient après est si candide, si pur ! Il s’épanouit avec tant de tendresse ! Mergy paraît à peine au second acte ; il na que deux phrase à chanter, mais quelles phrases ! De quel ton parle cet ambassadeur de vingt ans ! Avec quelle noblesse il réclame, au nom du roi de Navarre, et sa reine et sa fiancée ! Le récit, en quelques mesures, de son entretien avec Charles IX, mériterait une longue analyse. Vérité dramatique, historique même, tout est réuni dans cette page incomparable. Nul mémoire contemporain ne donne mieux que le second acte du Pré aux Clercs l’idée, l’image de la cour à demi française, à demi ée italienne, des Valois. Quoi de plus gai que la mascarade menée par Cantarelli? de plus vif que cette intrigue nouée pendant la fête? Voici Nicette, épeurée, parmi les masques. Soudain les danses s’arrêtent : Mergy prend congé de Marguerite. Le roi ne laisse partir ni la reine de Navarre, ni sa fille d’honneur. Comminge, irrité qu’un autre ose toucher la main d’Isabelle, éclate et s’emporte. Le duo de la provocation, frémissant de colère, s’interrompt à l’entrée de la jeune fille. On l’accueille avec un petit chœur exquis. La reine murmure une phrase pleine de langueur et d’ennui; mais les danses déjà reprennent plus vives. Galante et batailleuse, raffinée et violente, toute la renaissance française est dans ce tableau.

Au troisième acte, la couleur s’assombrit. Il n’est pas au théâtre d’effet à la fois plus sobre et plus puissant. La nuit descend sur le pré aux Clercs, où les deux rivaux ont pris rendez-vous. Par une inspiration très heureuse, Herold n’a pas mis leur duel sur la scène. Les jeunes gens sortent l’épée nue, et leur absence accroît peut-être l’émotion. lis sont aux prises, et les soldats du guet, jouant aux dés, s’entendent déjà pour transporter le mort. Là-bas, on danse encore au clair de lune, et rien n’est plus lugubre que ce chœur à