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marbre, mais de bronze, comme ces monstres dont l’ingénieuse cruauté des anciens faisait des engins de supplice. Ce n’est plus une fille de Florence, c’est Vénus elle-même, la Vénus antique, la déesse des étranges et meurtrières amours. Mérimée mêle à cette aventure fantastique un naturel qui en accroît l’horreur. Il nous conte ce drame comme un simple incident de la vie de province. Il ne s’agit pas d’un romanesque brigand de Sicile, d’un corsaire fabuleux, d’un nouveau don Juan, mais tout bonnement d’un jeune homme qui se marie, d’un jeune homme en habit noir comme tous les mariés. Il n’a rien de l’écumeur de mers: il n’a jamais pillé de châteaux, ni trompé de jeunes filles; et, pour une plaisanterie de buveur un peu gai, l’on sait quel est son châtiment; on le devine plutôt, car Mérimée ne s’en explique pas nettement. On entend bien, la nuit, des pas lourds dans la chambre nuptiale ; on retrouve bien le marié sans vie, broyé par une étreinte de fer ; mais dans le jardin, la statue est à sa place ; à peine sa lèvre s’est-elle plissée d’un mauvais sourire. L’équivoque ajoute au malaise que fait éprouver ce conte. On croit, en fermant le livre, entendre le rire de l’auteur, aussi méchant que celui de sa statue.

Herold est moins sec, moins sceptique; il ne reste pas, comme Mérimée, impassible : il entre dans le drame avec intérêt, avec passion.

Boïeldieu n’est pas oublié dans le premier chœur de Zampa ; dans la ballade fameuse : D’une haute naissance, on retrouve sa poésie de ménestrel ; la phrase inquiète de Camille est pénétrée de sa mélancolie. Le chœur des jeunes filles s’achève, et la première parole de la fiancée : Il ne vient pas! nous émeut d’un soudain pressentiment. La coda qui termine l’air, l’entrée d’Alphonse, tout cela sans doute est un peu négligemment imité de Rossini; mais le trio, rossinien, lui aussi, est plein de verve mélodique. Le quatuor qui suit est excellent au double point de vue du drame et de la musique. Rien ne lui manque : ni l’ampleur de l’ensemble, ni la variété des mouvemens, ni la beauté des chants, ni l’intérêt de l’accompagnement. Herold ici donne à l’orchestre le degré d’importance qu’il doit avoir dans une scène de ce genre : au premier tutti succède une charmante mélodie de violens : phrase élégante, sur laquelle Zampa et Camille dialoguent aisément. Rien n’est sacrifié dans cette page magistrale : tout a sa place et sa valeur.

Le grand finale du premier acte est un chef-d’œuvre. Ce festin de pirates italiens a l’emportement d’une kermesse flamande : la fougue de Rubens avec la pompe du Véronèse. Quel éclat et quelle chaleur! Quel débordement de passions, d’instincts effrénés! Cependant Herold reste noble, même dans l’ivresse. Les brigands boivent