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imprévoyante et la résignation facile de la cour de France. Une république alliée du royaume, protégée par un traité formel d’alliance offensive et défensive, avait pu être attaquée en pleine paix. Le duc de Brunswick, à la tête de 20,000 hommes, s’était emparé en quinze jours des sept provinces, sans déclaration de guerre, au mépris du droit des gens; et le premier ministre M. de Brienne, prélat très peu religieux, ne retrouvait sa charité chrétienne que pour accepter humblement un sanglant outrage.

M. de Brienne n’était pas seul responsable de cet abaissement. Un pays divisé et troublé, une armée affaiblie et désorganisée, un trésor obéré et appauvri, telles étaient les causes premières d’une politique indécise et déjà faussée par les idées révolutionnaires. En Europe, tous les esprits clairvoyans le comprirent et devinèrent la crise qui devait renverser la vieille monarchie. En France même, l’opinion publique n’avait pas accueilli sans indignation une humiliation nationale. Mirabeau protesta avec éloquence contre l’oubli de traditions glorieuses, et les apôtres encore timides de la révolution se trouvèrent encouragés par les preuves trop évidentes d’une faiblesse qui devait perdre le pouvoir royal après en avoir compromis la dignité.

Il n’est peut-être pas sans intérêt, dans les circonstances présentes, de rappeler un incident assez peu connu, mais dont les conséquences furent graves. Si l’histoire doit sans cesse être refaite, ce n’est pas seulement parce qu’elle est mal faite, mais parce qu’elle est sans cesse oubliée.


I.

Sir James Harris, ministre d’Angleterre à La Haye, écrivait le 2 février 1785, au marquis de Carmarthen, secrétaire d’état de sa majesté britannique pour les affaires étrangères : « l’existence des Pays-Bas a toujours été considérée comme essentielle aux intérêts de l’Europe en général, et à ceux de l’Angleterre en particulier. » Et le marquis de Vérac, ambassadeur de sa majesté très chrétienne auprès des états-généraux, recevait au mois d’avril 1786, de M. de Vergennes, ministre des affaires étrangères à Versailles, une dépêche ainsi conçue: « Le roi considère les intérêts de la république comme les siens propres ; il prend et prendra de tout temps la part la plus sincère et la plus active à sa tranquillité et à son indépendance tant intérieure qu’extérieure. »

Les diplomates français et anglais, qui constataient avec tant de netteté, à la fin du siècle dernier, le rôle utile de la Hollande dans l’équilibre européen, ne manquaient pas à la politique ancienne et