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certain. Le lien du senoussisme est donc pour beaucoup d’adhérens, ou trop étroit et il est pénible, ou trop lâche et il est illusoire. Dans notre pensée, il est souvent de pure forme : se faire senoussi peut être une démonstration platonique, une manière de faire du zèle religieux, de se gagner le ciel par des intentions; c’est une concession que les timides ou les habiles font aux agens qui les effraient; chacun marque ainsi sa fidélité aux dogmes de l’islam et son antipathie pour les chrétiens ; mais ces démonstrations suffisent-elles pour engager le nouvel élu à s’armer pour la guerre sainte ? Dans le Soudan, cela est très possible ; mais en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Égypte, dans les pays où les indigènes ont avec les Européens des intérêts communs, nous ne le croyons guère. Nous avons vu Senoussi compter si peu sur le concours des musulmans qui vivent avec nous qu’il leur a prêché l’émigration. L’affiliation au senoussisme dans les états riverains de la Méditerranée est donc plus honorifique qu’effective. On tient à faire partie d’une secte dont les tendances sont pures, comme les Anglais se font inscrire dans les sociétés de tempérance ; on déclare la guerre aux abus, on ne prend pas les armes. — En outre, en admettant que les populations qui nous touchent tombent d’accord pour se soulever, cet accord sera-t-il durable ? Rien n’est moins probable. Nous savons combien sont nombreux dans ces sectes multiples les germes de division que Senoussi a voulu arracher ; a-t-il assez complètement réussi pour que la discorde ne vienne par mutiler l’insurrection? On peut en douter. Enfin, il existe un dernier point faible, incertain du moins, dans cette organisation immense : le chef est-il à la hauteur de sa mission ? Que prépare-t-il dans sa retraite ? Pourquoi n’a-t-il pas mis à profit tant de circonstances favorables qui lui fournissaient l’occasion de lever l’étendard sacré, après 1870, pendant les dernières insurrections, quand nous étions en même temps aux prises avec les gens de Bou-Hamama dans la province d’Oran et les dissidens tunisiens réfugiés en Tripolitaine, quand l’Égypte au nord et au sud était troublée? Les Arabes convaincus disent qu’il fait porter par d’autres que lui les premiers coups et qu’il se réserve pour le jour où nous serons plus faibles ; cela est possible, bien qu’il risque, avec ce calcul, espérons-le, d’attendre longtemps. Mais on dit aussi qu’il se cache pour vivre à son aise dans la débauche et que son abstention n’a d’autre cause qu’une âme pusillanime et un caractère amolli. s’il en est ainsi, à ce corps puissant du senoussisme manque une tête : la place que le chef actuel n’occupe pas peut être disputée par un autre : double germe d’affaiblissement.

L’envahissement du panislamisme qui nous menace rencontrera