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d’actes courageux, désintéressés, dont le récit se répand dans l’intérieur de l’Afrique avec les caravanes, ou dans les villes, et que les Arabes se répètent sous la lente ou dans les cafés pour la glorification de leur race et l’humiliation des chrétiens.

Il naquit en 1792, en Algérie, chez les Medjahères, tribu des environs de Mostaganem. Ses parens étaient Marocains, d’origine chérifienne, descendans, par conséquent, d’Hassen, fils de Fathma Zara, la fille unique de Mahomet. Il remplissait ainsi la première des conditions exigées de celui qui doit être ou qui doit engendrer le Messie (Mahdi) et avait droit au turban vert. — A Fez, où il fit, comme Tidjani et tant d’autres, ses études, il brilla de 1822 à 1830 par l’étendue de son érudition et son éloquence; ses qualités de dialectique étaient telles que toutes les discussions religieuses qu’il eut à soutenir se terminèrent pour lui victorieusement; il com- mença dès cette époque à écrire plusieurs ouvrages qui ont été conservés. Quand il quitta le Maroc pour venir vivre à Laghouat de ses leçons, il était affilié aux mouley-taïeb, aux kadrya et aux chadelya-derkaoua, dont la doctrine mystique l’avait particulièrement attiré. Il avait retrouvé dans cette oasis son condisciple Moussa-bou-Ahmar ; l’exaltation de celui-ci eut sur lui une influence qui contribua vraisemblablement à lui créer parmi les tidjanya, dont il avait pris le deker, des inimitiés telles qu’il dut quitter Laghouat.

Du jour de son départ commence la première partie de sa vie apostolique : sa réputation de sainteté et de sagesse était déjà si grande que, réfugié à vingt-deux lieues de Laghouat, chez les Ouled-Naïl, à Messad, où il arrivait pourtant en étranger et sans ressources, il reçut en mariage la fille d’un des chefs de la tribu, — qu’il ne tarda pas d’ailleurs à abandonner. — c’est de Messad qu’il entreprit le pèlerinage de La Mecque : il laissa pour y continuer son enseignement en son absence, dans la zaouïa qu’il avait fondée, quelques élèves dont les noms sont connus. Il gagna d’abord Bou-Saada, puis, lentement, par la province de Constantine, il passa en Tunisie.

Là, à Gabès, on raconte un incident de son voyage qui explique peut-être comment les populations de l’Arad sont restées jusqu’aujourd’hui, malgré les troubles qui ont suivi notre occupation, réfractaires à sa propagande[1]. Senoussi séjourna pendant quelque temps

  1. Deux familles seulement sont affiliées, depuis de longues années, aux senoussya dans toute cette province: celle de Si-el-Hadj-el-Ali-el-Habib et celle de Si-Mohammed-ben-Cheik, le premier bach muphti, le second cadi de l’Arad ; mais elles n’ont aucune délégation du cheik et ne peuvent conférer l’ouerd. — Les indigènes de l’Arad sont rahmanya et surtout alssaoua : ils aiment les chants, les danses, les divertissemens et ne s’accommoderaient pas de pratiques sévères.