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Dieu ne vous a point abandonnés ; il est tout-puissant, mais il est miséricordieux ; faites le bien pour attirer sur vous les effets de sa bonté, et, si vous souffrez, appelez-le, il vous entendra. »

La prière des tidjanya pourrait se résumer dans cette belle parole chrétienne : « Seigneur, ayez pitié de moi, vous qui m’avez créé! »

Un jour, racontent-ils dans leurs entretiens pieux, Moïse refusa d’entendre un malheureux pécheur qui se repentait et qui l’avait imploré soixante et dix fois. Alors Dieu lui dit : « Eh quoi ! tu n’as pas eu pitié d’un coupable qui t’a crié : « Grâce ! » soixante-dix fois! S’il m’avait invoqué une seule fois, je l’aurais exaucé. Tu as été sans compassion pour lui parce que tu ne l’as pas créé ! »

Dieu aime toutes ses créatures : il ne fait rien que pour leur bien ; « s’il tolère un pouvoir, c’est parce que ce pouvoir est nécessaire; » c’est donc à Dieu seul à savoir s’il doit laisser vivre en bonne intelligence ou séparer les musulmans et les chrétiens.

Cette doctrine, qui rendait possible entre l’Orient, l’Afrique et l’Occident une fusion devenue aujourd’hui si improbable, eut à la fin du siècle dernier un succès tel qu’elle éveilla la susceptibilité des Turcs maîtres de l’Algérie et attira sur Tidjani, ses disciples et ses successeurs, des persécutions ; ils durent se retirer dans le Sahara, vers le Soudan, à Tombouktou, au Sénégal, où leur enseignement se propagea rapidement.

Le fondateur de l’ordre, Si-Ahmed-ben-Salem, était né à Aïn-Mahdi, près de Laghouat, dans le quartier des Tidjini ou Tidjani, d’où il tient son nom. Il fit très jeune des études brillantes à Fez et pouvait, à seize ans, continuer les cours de son père; le sultan du Maroc le combla de biens et d’honneurs. Comme Abd-el-Kader-el-Djilani, dont il est, en somme, le véritable héritier spirituel, Tidjani s’adressait aux faibles ; il eut très vite de nombreux affiliés. La règle qu’il leur imposait n’était pas rigoureuse : il simplifiait leur culte, le dépouillait de ce qu’il avait dans les autres sectes de mvstique et d’abstrait (aussi ne classe-t-on pas son ordre parmi les sectes mystiques pures), les fidèles n’avaient même pas à s’adresser à Dieu directement, à Dieu invisible, lointain : il suffisait qu’ils invoquassent le cheik ; celui-ci transmettait leur prière à Dieu, il se faisait l’intermédiaire entre eux très humbles et lui Très-Haut; il recevait les plaintes, il répandait la grâce ; car seul le cheik a le pouvoir d’être entendu de Dieu ; c’est à lui seul que Dieu parle, à lui seul, — et à ses descendans, — qu’il a donné la baraka, le droit de bénir et d’absoudre en son nom. La conséquence de cette interposition était celle-ci : « Quiconque a fait du bien au cheik, à ses parens, à ses descendans, à ses serviteurs est digne de la baraka ;