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des forces de l’islam. Arrêter ou, s’il était possible, prévenir cette désagrégation, plus d’un pieux personnage en a eu la pensée : deux hommes y consacrèrent leur existence. L’un, qui vint trop tôt pour le succès de son œuvre, était Mohammed Tidjanf; l’autre, qui parut au contraire à l’heure même du péril, au lendemain de Navarin et de la prise d’Alger, fut le cheik Senoussi.

Nous ne chercherons pas de point de comparaison entre les doctrines de ces deux réformateurs : reliées par la chaîne à un point de départ identique, elles sont aussi différentes l’une de l’autre par leurs effets que la nuit du jour; la seconde est le contraire de la première : celle de Tidjani fait face à la civilisation qui envahit l’Orient, par la tolérance, un pacte d’indépendance et de bonne amitié ; celle de Senoussi oppose à l’expansion du génie occidental la retraite, la concentration, la résistance obstinée. Si toutes ces dénominations n’étaient pas aussi éphémères, nous dirions que les tidjanya sont les opportunistes et les senoussya les intransigeans de l’islam. Or, ce sont les intransigeans qui ont en Afrique la majorité : leur nombre ne cesse de s’accroître, tandis que, chaque jour, il faut l’avouer, les opportunistes perdent du terrain.

Rien n’est plus facile malheureusement que de comprendre cette évolution des esprits ; rien n’est plus difficile que d’en changer le cours.

Tous deux inspirés par cette pensée supérieure de resserrer l’union des musulmans, Tidjani et Senoussi, devaient chercher l’un et l’autre le moyen d’attirer à eux les sectes qui se partageaient les fidèles, par conséquent s’écarter le moins possible des doctrines déjà acceptées, et, ces doctrines ayant entre elles des divergences sensibles, en trouver une qui conciliât toutes les autres. Dans ce dessein, les deux fondateurs firent preuve de l’éclectisme le plus large. Chacun d’eux a pris soin de composer son deker de telle sorte que toute secte importante pût y retrouver les élémens du sien. En outre, par la chaîne, ils se rattachèrent avec une scrupuleuse correction aux maîtres les plus orthodoxes.

Cet éclectisme nécessaire est, avec leur origine chadelienne, le seul trait commun aux deux chefs.

Tandis que Senoussi arrivait à n’admettre aucune concession, à frapper d’une sorte d’excommunication le khédive, le sultan de Constantinople, sans doute aussi le bey de Tunis et tous les Turcs qui se compromettaient dans le commerce des chrétiens, Tidjani donnait à sa doctrine un caractère qui en fait presque une religion nouvelle : l’éloignement du monde, la résignation aveugle, l’oubli de soi-même n’en sont pas la base ; elle est, au contraire, pleine d’indulgence et de consolations ; elle s’adresse à ceux qui n’ont pas fait à l’avance le sacrifice de leur vie terrestre et leur dit : « Espérez,