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le nombre de ses disciples et des partisans de sa doctrine en Asie, dans l’Inde et dans tout l’Orient est incalculable.

Les bases qu’il adopta pour fonder son ordre sont restées celles qui ont servi à ses successeurs. Toutes les sectes ont, à peu de chose près, depuis lors, le même mode de constitution, sont organisées suivant les mêmes principes, et observent les mêmes règles générales que celles des Kadrya, avec autant de divergences pourtant qu’il en peut exister entre les apôtres d’une même doctrine quand ces apôtres se multiplient avec le temps dans le monde entier, et qu’il devient, par conséquent, chaque jour plus difficile de savoir s’il ne se cache pas derrière des hommes pieux des intrigans. Bien des sectes ont été inspirées ainsi par des ambitions politiques et ont dégénéré en instrumens de tyrannie ou de résistance.

La première préoccupation d’un chef d’ordre est de rester orthodoxe, de ne pas paraître fonder un schisme ou se rattacher à un schisme existant, car les mécontens que soulève infailliblement son apparition ne manqueront pas, s’il n’y prend pas garde, de paralyser l’effet de sa propagande en le dénonçant comme schismatique ou, ce qui revient au même, ouahbite, comme on disait, chez nous, schismatique ou calviniste. Abd-el-Kader el Djilani affirma la correction de sa foi ; il établit ce que les musulmans ont appelé sa chaîne d’or, c’est-à-dire une filiation qui faisait remonter la source de son enseignement jusqu’à Mohammed. Ainsi, chaque fondateur publie sa chaîne, la généalogie de ses ancêtres spirituels, qu’il transmet à son successeur. Chaque nouveau chef ajoute son nom au commencement de cette liste qui figure en tête des brevets donnés aux membres de l’ordre, à ceux qu’on appelle khouan, frères, par exemple : « Moi, l’impuissant et le faible, le pauvre devant Dieu, le serviteur des pauvres, si Sliman el Kadri ben Sidi Moustapha Sliman ben Sidi…, fils de…, fils de…, fils de l’étoile polaire de l’existence, de la perle blanche du guide dans la religion, du préféré de Dieu, de l’imam, l’étoile des étoiles, le pôle des pôles, l’axe du monde, le recours suprême des affligés, le refuge, le Sauveur, l’élu, le choisi, le meilleur, l’intermédiaire obligé entre le monde et le ciel, Sidi Abd-el-Kader el Djilani, dont le cheik fut l’étoile des savans,.. disciple de,.. ainsi jusqu’au père des hommes, Adam, lequel fut créé avec de la boue. »

J’ai entre les mains une de ces énumérations d’une calligraphie remarquable et qui ne mesure pas moins de deux mètres de petit texte : le khouan porte ce brevet roulé dans un étui de fer-blanc avec son chapelet et quelques reliques. M. Rinn reproduit un de ces arbres généalogiques.

Souvent, pour ajouter plus de force à cette chaîne, le fondateur se