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Très-fort. Ce sont là de charmantes frivolités, comme les Grecs en savaient dire. Mais comment est-il possible, au point où en est la science, qu’on ait pris ces légendes à la lettre et qu’on ait examiné sérieusement, en comparant les vieilles constructions, si les Cyclopes de Tirynthe étaient réellement venus de chez les Lyciens d’Asie-Mineure ?

M. Schliemann permettra aussi à ses lecteurs de ne pas voir des palais dans les constructions supérieures de Tirynthe. Il sait, comme nous, que l’Odyssée est un roman et la demeure d’Alcinoüs un palais des Mille et Une nuits. Quant à l’Iliade, est-ce donc un évangile? Non, puisqu’elle contient des erreurs, par exemple, au sujet du fer. C’est un procédé empirique, et qui n’a rien de scientifique en lui-même, de recueillir çà et là des textes dans les épopées et ailleurs et de les grouper de manière qu’ils s’appliquent à des ruines données. Car on les adapterait aussi bien à un palais de Pompéi, même à une grande maison de Paris ou de Berlin. Je n’attache aucune importance aux dénominations données par les collaborateurs de M. Schliemann aux constructions de Tirynthe. Pour eux, le plus grand édifice, c’est le mégaron des hommes, l’autre est le mégaron des femmes, les petites pièces éloignées sont le mykhos ou lieu retiré, affecté à différens usages. Enfin, on construit par ce procédé tout un système d’interprétation, dans lequel une seule chose ne trouve pas de place : cette chose oubliée, c’est le dieu. Mais où donc en Grèce sont les acropoles dépourvues de dieu ? Il y avait des temples, des autels, des sanctuaires sur les montagnes et les collines, aux sources des ruisseaux, le long des rivières, sur les promontoires, dans les ports, partout enfin. Hercule seul, à deux pas de Lerne, eût été omis aux lieux mêmes où il avait eu son berceau ! Cela n’est point conforme au génie grec, et la chapelle démolie est une preuve qu’un culte avait existé sur l’acropole tirynthienne. Plus on y pense, plus on se persuade que le bâtiment central, dont le plan est celui d’un temple, dont les murs sont plus épais que tous ceux des salles voisines et dans lequel on a trouvé une peinture murale figurant un homme qui maîtrise un taureau, était bien ce temple d’Hercule, exigé par les idées religieuses des anciens. L’édifice voisin était aussi un temple; les salles existant à droite et à gauche pouvaient servir au culte, aux seigneurs peut-être, à leur famille et même aux défenseurs de la citadelle. Mais que l’acropole ait été occupée par un prince et qu’un hobereau ait pris la place d’un dieu, cela est difficile à accepter.

Je n’appellerai plus l’attention du lecteur que sur un point capable de soulever aussi la controverse. Depuis longtemps, personne n’admettent plus la réalité des Cyclopes et l’on nommait pélasgiques les forteresses qu’on avait qualifiées auparavant de cyclopéennes.