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Corneille, justement, qui avait abattu ce vent de fronde venu d’Espagne ; et ce même courant, après deux siècles, passait encore les Pyrénées et nous agitait au nom de Corneille. Ce qu’on nous donnait, vers 1830, pour une crise heureuse de cet âge adulte où notre art national était entré vers 1636, ce n’était que le retour d’une maladie de jeunesse, d’une fièvre exotique : le paradoxe est amusant.

Didier et Marion, chez les comédiens et entre les mains de Laffemas, rappellent, plutôt que Rodrigue et Chimène, le héros et l’héroïne de Hardy, Théagène et Chariclée, chez les pirates et au pouvoir des émissaires d’Hydaspe, roi d’Ethiopie. Scudéry serait satisfait de la verve qui se donne cours dans ces trois actes d’intermède, — et combien plus encore du quatrième acte de Ruy Blas ! Les discours amoureux de Didier, de Ruy Blas lui-même et de Hernani ne déplairaient pas au poète de l’Amant libéral et de l’Amour tyrannique. Fait pour enchanter Scudéry, tout le rôle de don César de Bazan ne serait pas désavoué de Scarron ; celui-ci, d’ailleurs, aussi bien que celui-là, goûterait la merveilleuse émulation de Hernani et de don Carlos, de Saverny et de Didier : n’a-t-il pas fait les Généreux Ennemis ? L’auteur de cette tragi-comédie et de don Japhet d’Arménie, de Jodelet ou le Maitre valet, voilà l’homme dont l’auteur de Marion Delorme, de Hernani et de Ruy Blas, en tant que dramaturge, est proprement le successeur. Si le dernier venu n’est pas l’élève du premier, ils ont en les moines maîtres, les Espagnols, dont l’enseignement, ni pour l’un ni pour l’autre, n’a été corrigé par la raison. Formés par ces leçons, ils ont suivi chacun sa fantaisie ; que celle du premier fût d’un spirituel improvisateur, et celle du second d’un grand lyrique, cela va sans dire ; mais, comme poète dramatique, tous les deux sont de la même école. Ni la libre ordonnance du roman mis sur la scène, ni les entrées et les sorties par les fenêtres, ni les cachettes ménagées aux amoureux, ni les prisons d’accès facile, ni les duels, ni les enlèvemens, ni les bouffonneries, ni les trop beaux sentimens ne donnent de scrupule à l’un plutôt qu’à l’autre : tous les deux se jouent à l’envi parmi ces négligences de composition, ces invraisemblances matérielles et morales, ces énormités du burlesque et ces gentillesses du sublime : seulement, Hugo prend ses personnages plus au sérieux que Scarron.

Ainsi, dans le drame romantique de 1830 comme dans la tragédie et la comédie romanesques, opposées pendant la première moitié du XVIIe siècle à la tragédie et à la comédie classiques, la folle du logis en est la maîtresse : eh bien ! le réel, ce réel annoncé, que devient-il ? Que deviennent la nature et l’histoire ? Nous avons plusieurs lois expliqué déjà[1] par quel tour naturel de son esprit Hugo prend pour des

  1. Voir notamment, dans la Revve du 1er juillet 1882, un article sur Torquemada.