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haïssait ; » — mais quel est ce « tout ? » quelle est cette haine, quels en sont les raisons et les actes ?


J’ignore d’où je viens et j’ignore où je vais,


soupirera-t-il ; nous l’ignorons aussi, et ne nous en inquiétons guère ; c’est un passant inconnu, ou plutôt une ombre qui passe : que nous importe une ombre ? A peine ce fantôme noir est-il auprès d’elle, cette personne qui d’abord, en écoutant le babil de Saverny, joliment débité par M. Berton, avait quelque peu l’air d’être Marion Delorme, cette personne n’est plus Marion, mais une femme quelconque, ou plutôt elle n’est aucune femme : ce couple, au baisser du rideau, nous laisse étonnés et froids.

Au deuxième acte, l’entretien des jeunes seigneurs sur la place de Blois, farci de détails de mœurs, d’allusions aux duels de la veille et aux modes du jour, tout ce dialogue nous ennuie les oreilles, comme un travail de marqueterie, exécuté en notre présence, ennuierait nos yeux. La discussion sur Corneille, ses devanciers et ses rivaux, nous agace comme une plaisanterie de mauvaise grâce : il est trop évident que ces sottises sont dictées aux personnages par l’ironie de l’auteur, qui n’a guère de mérite à savoir qu’à la fin Corneille l’a emporté. Ensuite la querelle et le combat de cet inexplicable Didier et de Saverny nous font passer un moment, à la manière d’une entrée de ballet, sans nous émouvoir.

Intermède comique, ce troisième acte ; hélas ! d’un comique laborieux. C’est ici le théâtre des marionnettes : au commencement, Saverny fait l’Arlequin ; à la fin, Laffemas fait le commissaire. Avec sa verve de commande, l’un est médiocrement drôle ; avec sa voix grossie, l’autre est médiocrement terrible. Dans le milieu, le défilé de ces pantins, les comédiens de campagne, n’est qu’un artifice trop évident pour introduire de force le grotesque dans un sujet sentimental ; la récitation de ces morceaux choisis d’une littérature ridicule n’est que l’étalage d’une érudition fastidieuse, quoique facile. Entre temps Marion et Didier n’ont reparu que pour roucouler un duo ; ni leurs discours ne nous renseignent davantage sur leurs caractères et leurs passions, ni leur conduite n’est de personnes douées de raison et de volonté. Quand Didier apprend que la femme qu’il aime et qu’il croyait pure est Marion Delorme, que dit-il ? que fait-il ? Rien. Il tressaille. Il ne cherche pas la perfide, il lui laisse ignorer sa découverte ; il se livre à Laffenias sans avoir dit pourquoi : ainsi le drame avorte ou dégénère en pantomime. Ce n’est pas Saverny, d’ailleurs, jusqu’ici le plus consistant de ces personnages, qui nous fera croire que ces aventures