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cueillir des raisins frais au lieu de raisins secs ; mais cette rapidité est incompatible avec l’obligation où l’on est de ne vendanger qu’à la fraîcheur, afin que la fermentation ne s’accomplisse pas à une température trop élevée, aux dépens de la qualité du vin. Cette difficulté assimile par certains côtés la vinification algérienne à la brasserie, avec cette différence que la brasserie opère toute l’année et peut employer des procédés de refroidissement précis et économiques. Il tombe sous le sens que, si ces difficultés, déjà si grandes, devaient être compliquées par le mildew, la production algérienne tomberait dans une infériorité à décourager les plus braves. Espérons donc que le lait de chaux dominera la situation quant au mildew, que le phylloxéra se renfermera longtemps (que n’ose-t-on dire toujours ! ) dans la région où il a élu domicile, et que les efforts des colons n’échoueront pas au moment où le but semblait atteint.

Les vignobles algériens ne sont malheureusement pas tous entre les mains de riches particuliers ou de puissantes sociétés. Beaucoup de vignerons ont escompté l’avenir et créé un vignoble avec ce qu’il a rapportera ! » Pour ceux-là, la ruine est à la porte, car une année de mildew peut renverser un si fragile échafaudage[1]. Quant aux grandes sociétés, aux grands capitalistes, ils triompheront certainement par l’étude et l’attente ; ayant des capitaux pour agir à l’heure dite, leur succès grandira de tous les naufrages qui se produiront parmi les petits et les faibles, confirmant cette idée très moderne, mais de plus en plus vraie, que la viticulture échappe aux mains du petit vigneron qui jadis créa cette gloire et cette richesse nationale. Chaque système de reconstitution viticole est actuellement représenté par des sociétés. Ces groupes de gens spéciaux plantent les jalons de l’agriculture industrielle et collective qui réparera, par une transformation devenue indispensable, les conséquences de la législation moderne sur l’agriculture. En effet, la mobilité et le morcellement de la propriété amènent le détachement de la terre et la désespérance dans le cœur de celui qui sent vaciller sur sa tête le toit paternel.

En dehors même de ces considérations morales, il est positif que l’agriculture, devenant scientifique, se spécialise et demande des spécialités ; que de nouvelles données économiques exigent des concentrations de forces d’un ordre nouveau. C’est pourquoi la viticulture renaît, sous cette forme nouvelle, autour des différens systèmes que le phylloxéra a fait surgir. En Algérie, plusieurs sociétés plantent de la vigne française. La Société nationale contre

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier, l’étude de M. Roller, intitulée : Cultivateurs et vignerons en Algérie.