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s’appuie à l’angle de chacune de ces maisons. Au premier abord, il leur communique à toutes un faux air de brasserie endimanchée. Il faut pourtant en prendre son parti. Quand on ne peut pas avoir d’eau de source, le plus sage est de se contenter de celle qui vient des cieux, et c’est ce que font les habitans de la Nouvelle-Orléans. — Dans les vieux quartiers hispano-français, les maisons offrent un aspect tout différent. Elles se pressent les unes contre les autres, avec une laideur austère et une affectation de dignité presque risible ; elles sont toutes bâties sur le même modèle, et sont uniformément recouvertes d’une épaisse couche de plâtre auquel le temps et le climat ont donné une teinte chaude et changeante qui fait leur principale beauté. A chaque étage, on trouve une vérandah qui occupe toute la façade et qui est fermée par une rampe de fer ouvragé. Ces rampes sont souvent très ornementales ; le dessin en est parfois léger et original ; au centre se trouve un grand monogramme compliqué à l’infini. Quelques-unes de ces rampes, assez anciennes, ont été forgées de main d’homme, ce qui leur donne, paraît-il, une certaine valeur comme bibelots.

Les cimetières ne sont pas une des moindres curiosités de la Nouvelle-Orléans. Les morts y sont enfermés dans des cellules construites au-dessus du niveau du sol. Ces cellules ont l’aspect de maisonnettes ou de petites chapelles. Elles sont généralement bâties en marbre et avec assez d’élégance. Elles sont pour la plupart en façade le long des allées du cimetière, et, à voir leurs toits blancs et leurs pignons aigus s’étendant au loin dans toutes les directions, on se croirait réellement dans la « cité des morts. » Ces vastes enclos sont merveilleusement entretenus. Devant l’entrée de tous ces édicules, la main pieuse des survivans a placé des fleurs dans des vases pleins d’eau, et les renouvelle chaque jour. Parfois, il est vrai, le deuil s’affirme d’une façon plus simple et de plus mauvais goût. Les tombes les plus pauvres sont ornées de ce qu’on appelle des « immortelles ; » c’est généralement une croix ou une couronne, faite d’une grosse étoffe noire, avec un nœud jaune au milieu, le tout formant un assemblage aussi laid que solide. Les jours où le soleil est le plus chaud, une nuée de petits caméléons, — le plus gracieux de tous les reptiles, — vient prendre ses ébats sur les tombes et y chasser gaîment les mouches. En somme, les habitans de la Nouvelle-Orléans sont gens essentiellement pratiques. Ne pouvant, à cause de la nature du sol, se donner le luxe d’avoir des caveaux de famille, ils ont appris à s’en passer. Les vivans ne s’en plaignent guère, et les autres, point du tout[1].

  1. Les Israélites seuls et les pauvres sont enterrés dans le sol même. Pour les premiers, c’est une simple tolérance. La ville se charge à ses frais de l’inhumation des seconds. Mais, même en ce cas, les fosses ne dépassent pas trois ou quatre pieds de profondeur.