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quelques centaines de mètres. Il y avait là, on y joignant le Canada, tout un empire que les siècles suivans se chargèrent d’émietter jour par jour, heure par heure, et dont le dernier lambeau, la Louisiane, fut vendu, en 1803, par Napoléon, en un jour de pénurie, pour la somme de 80 millions de francs !

Mais La Salle ne se contentait pas de ce premier résultat. Il voulut aller jusqu’à la mer en suivant ce fleuve, qu’il avait fait sien. Il continua à descendre vers le sud, passa devant l’emplacement de Vicksburg et de Grand-Gulf, visita un puissant monarque indien du pays de Teche, eut également diverses entrevues avec les Natchez et finit par atteindre les bouches du Mississipi. Sa tâche était finie ; il partit pour le Texas, où il ne tarda pas à périr, traîtreusement assassiné.

Soixante-dix années s’écoulèrent encore ayant que les rivages du Mississipi fussent peuplés par la race blanche, et cinquante autres avant que le fleuve fût employé à un transit commercial quelconque. Un jour vint pourtant où on lui fit porter quelques grands bateaux à quille plate et des chalands pleins de lenteur. Ces bateaux descendaient à la voile jusqu’à la Nouvelle-Orléans, changeaient leur cargaison et remontaient à la perche, ce qui constituait une navigation des plus fastidieuses. Il fallait quelquefois neuf mois pour l’aller et le retour. Ce commerce rudimentaire alla se développant peu à peu et finit par occuper toute une population très brave, mais grossière, qui ne manquait pourtant pas de côtés pittoresques. Puis le bateau à vapeur fit son apparition. En peu de temps, il absorba tout le commerce du fleuve, et le matelot des chalands dut changer de profession. Ce fut vers cette époque que j’entrai dans la vie.


II. — L’APPRENTISSAGE ET LA VIE DU PILOTE.

Dans mon enfance, j’habitais le village d’Hannibal, dans le Missouri, et nous n’avions, mes camarades et moi, qu’une seule véritable ambition, celle d’appartenir à l’équipage d’un bateau à vapeur. Je dis véritable, parce que, comme tous ceux de notre âge nous en avions d’autres, mais à l’état passager. Quand un cirque ambulant venait visiter nos parages, il nous laissait tous pénétrés du désir de devenir clowns. La vie de saltimbanque nous paraissait également avoir des avantages, et nous étions convaincus que peut-être, si nous étions bien sages, la Providence ferait de nous des pirates. Mais ces divers appétits étaient sans durée, et l’idée seule de monter sur un bateau à vapeur les faisait disparaître. Mon