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son œuvre, il y a tel point de son parcours où il arrive bien plus rapidement à des résultats extraordinaires. Par exemple, l’Ile du Prophète, il y a trente ans, couvrait environ quinze cents acres ; le fleuve, depuis, y a ajouté plus de sept cents acres d’alluvions.

Le Mississipi, enfin, est le plus remuant des fleuves. Il est sans cesse en mouvement, cherchant à raccourcir et à redresser son cours. A chaque instant, il saute par-dessus d’étroites bandes de terrain, rectifiant ainsi ses courbes les plus folles. Il lui est arrivé de regagner de la sorte une trentaine de milles d’un seul coup, laissant à sec des villes et des districts entiers. Autrefois, par exemple, la ville de Delta se trouvait à 2 milles au-dessous de Vicksburg ; il s’est produit dernièrement un de ces cut-offs qui modifient le cours du fleuve, et Delta est aujourd’hui à 2 milles au-dessus de Vicksburg. On conçoit combien le Mississipi est gênant comme frontière administrative. Un riverain peut très bien s’endormir dans l’état de Mississipi, et, si le fleuve pendant la nuit a pris un de ces raccourcis dont il a l’habitude, se réveiller dans la Louisiane ; ce qui embrouille les juridictions et dérange les habitudes. Avant la guerre de la sécession, il n’en eût pas fallu davantage, entre le Missouri et l’Illinois, pour faire un homme libre d’un esclave. Le fleuve, au reste, ne se contente pas des cut-offs à l’aide desquels il abrège son chemin ; il change également de fit lorsqu’il lui plaît, et s’en creuse un nouveau à gauche ou à droite de l’ancien. A Hard Times, dans la Louisiane, la rivière coule à l’ouest de l’endroit où elle coulait autrefois ; et la différence est d’environ 2 milles. Presque toute la partie du fleuve qui fut parcourue par les premiers explorateurs, il y a deux cents ans, est maintenant à sec, sur une longueur de 1,300 milles. Le fleuve passe, à présent, tantôt à droite, tantôt à gauche.

L’histoire du Mississipi n’est pas moins curieuse. Elle présente, à bien des reprises différentes, de singulières alternatives, des périodes successives de sommeil et d’activité, de succès bruyans et de déroutes imprévues. C’est en 1542 que le premier représentant de la race blanche, l’Espagnol de Soto, jeta les yeux sur les bouches de notre fleuve. On fait volontiers à l’Amérique le reproche d’être un pays trop nouveau, et de n’avoir dans le passé aucune de ces attaches séculaires qui prêtent aux contrées européennes leur poésie et leur charme légendaire. Le reproche, bien que fondé en partie, n’est pas absolument juste ; et il n’est pas inutile d’assigner par quelques rapprochemens précis, sa place et sa valeur réelle à cette première date de l’histoire des États-Unis. Ainsi, lorsque de Soto découvrit le Mississipi, il faut se rappeler que Charles-Quint atteignait l’apogée de son règne, que Catherine de Médicis et Elisabeth