Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la dénomination de la belle pointe, dénomination qu’elle conserva durant tout le XVIe siècle ; mais la plus célèbre était un rubis de 206 carats, appelé la Côte de Bretagne. Cette pierre mérite une mention particulière, car elle est fort probablement encore aujourd’hui comprise dans le trésor de la couronne, et aucune commission jusqu’ici, nous le croyons du moins, n’en a signalé l’existence.

En 1530, elle était montée sur un pendant de cou, ayant la forme d’un A romain. Catherine de Médicis la fit remonter avec onze perles. A partir de cette époque, son histoire se confond avec celle de deux autres gros rubis, dont l’un prit le nom d’A romain, à cause de la forme du bijou au centre duquel il était placé ; l’autre s’appela l’œuf de Naples.

En 1570, lors du mariage d’Elisabeth d’Autriche, ces trois pièces subirent une nouvelle modification, qu’elles ne gardèrent malheureusement pas longtemps, car, en 1588, le roi Henri III, obligé de lever des troupes pour repousser une invasion espagnole, engageait les trois rubis entre les mains de l’un de ses secrétaires, le sieur Legrand, contre un prêt de 347,000 livres tournois, prix auquel ils avaient été estimés. La Côte de Bretagne seule fut prisée, durant tout le XVIe siècle, 50,000 écus, c’est-à-dire environ 600,000 francs de notre monnaie actuelle.

Le sieur Legrand ne tarda pas à mourir : le 10 mars 1635 et le 7 octobre 1643, ses héritiers obtinrent de Louis XIII et de Louis XIV des lettres patentes les autorisant à vendre les trois rubis au cas où le remboursement du prêt n’aurait pas lieu immédiatement. On n’eut pas besoin de recourir à ce moyen extrême. En janvier 1670, Colbert faisait rendre un arrêt du conseil déclarant les héritiers Legrand remboursés et ordonnant la réintégration des trois rubis dans le Mobilier de la couronne, où ils restèrent jusqu’au 5 novembre 1749 ; à cette époque, le conseil du roi ordonnait de remettre la Côte de Bretagne au sieur Jacquemin[1], pour être montée dans l’ordre de la Toison d’or. Elle fut alors confiée à Gay, le fameux graveur en camées de Mme de Pompadour ; celui-ci lui donna la forme d’un dragon soutenant dans sa gueule la toison elle-même.

La Côte de Bretagne, alors estimée 60,000 livres, fut portée par Louis XV et par Louis XVI ; en 1792, elle fut volée. Comment rentra-t-elle depuis dans le trésor ? On ne le sait ; c’est ce que nous apprendront sans doute un jour les énormes dossiers de la révolution, déposés soit aux Archives, soit à la Bibliothèque, et non

  1. Jacquemin (Pierre-André), reçu maître-orfèvre, le 8 mars 1751, joaillier de la couronne en 1757 (1er mars). Mort en 1773. Son poinçon était P. A. J. et un cœur.