Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un morceau de calicot aux couleurs voyantes, orné de festons de feuilles de cocotiers ou d’écorce d’arbre autour des reins, un collier de fleurs dans les cheveux, constituaient la toilette des ballerines. La jeune première se distinguait de ses compagnes par une grande perruque de cheveux blonds en forme de bonnet phrygien, ornée d’un panache de plumes écarlates qui faisaient valoir le ton caramel des épaules, du buste et des bras. Toute sa personne ruisselait d’huile de coco. Arrivées au nombre de seize en face du feu, les danseuses, la première au centre, se rangèrent en ligne, s’accroupirent sur les nattes et attendirent, immobiles comme des statues, le signal de se mettre en mouvement. Ce fut la prima ballerina qui le donna en entonnant une sorte de mélodie qui fut ensuite chantée en chœur pendant toute la durée du pas. Les mouvemens, dont la précision excitait l’admiration des Européens, étaient d’abord contenus, graves, lents, solennels, puis accélérés, à la fin vertigineux. Ces dames dansaient avec les yeux, la tête, les épaules, avec les bras, les mains et le buste ; les jambes seules restaient immobiles. Le texte, non la musique des chansons, était composé pour l'occasion en l’honneur du capitaine Bridge et de ma personne ; en effet, des sous ressemblant à nos noms se reproduisaient incessamment. A la fin du ballet, de vifs applaudissemens partirent des banquettes des blancs. Le public indigène resta impassible.

Mais il n’en fut pas ainsi lorsque la fille du grand chef, maître de la maison, parut dans la salle. C'est une beauté et une vertu. Hélas ! beaucoup des jeunes filles de ces îles ne sont ni l’un ni l'autre. Celles d’entre elles dont la sagesse est notoire, ne sortent jamais qu'en compagnie d’une ou de plusieurs duègnes. Elles sont admises de préférence à l’honneur de préparer le kava dans les occasions solennelles, et elles peuvent espérer d’être épousées par des hommes de qualité, des guerriers de haut rang d’une tribu amie. (On ne se marie jamais dans sa propre tribu.) Mais, à part cet hommage rendu à la vertu, les jeunes filles qui n’y prétendent pas n’en jouissent pas moins de la considération publique.

C'était donc une grande dame et une vertu, et de plus une beauté hors ligne. Aussi tous les regards se fixèrent sur elle, et les hôtes de couleur la saluèrent de murmures approbatifs. Je lui aurais donné dix-huit ans, mais elle n’en a que treize. Très peu vêtue, et la tête couverte d’une perruque colossale, qu'elle eut le bon esprit de perdre au début du ballet, ce qui dévoila les contours classiques de sa tête et de sa nuque, elle prit place devant le feu entre quatre hommes. Un de ces coryphées entonnait la chanson au commencement de chaque danse. C'étaient les mêmes contorsions du haut du corps, les mêmes mouvemens des bras et des mains. Cette enfant vertueuse, qui a le feu sacré de la ballerine, se démenait, comme