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(notarii), qui sont chargés d’instrumenter pour lui : c’est la manie du temps. Jusque dans les réunions privées, on dresse à tout propos des procès-verbaux. Quand saint Augustin disserte avec ses amis sur des questions philosophiques, il appelle un notarius pour que rien ne se perde. Toutes les administrations ont leurs registres parfaitement tenus, qui contiennent les Actes qui les intéressent. Il y en a dans la chancellerie du proconsul (Acta proconsularia), où il écrit les lettres du prince et les siennes ; il y en a dans les municipalités (Acta municipalia), où il semble que chaque citoyen avait le droit de venir consigner ses griefs ; quand on le lui refuse, il se plaint qu’on lui a fait une injustice : publica jura negata sunt. Il s’en trouve aussi dans chaque corporation, et nous avons, dans les livres de saint Augustin, des extraits des Actes de l’église d’Hippone. Nous devons donc être certains qu’on recueillait les pièces des procès, les actes d’accusations, les interrogatoires des accusés, les sentences des juges, et qu’on les gardait. Malheureusement tout a disparu dans ce grand désastre, qui, vers le VIe siècle, emporta l’empire.

A défaut des archives de l’état, pouvons-nous du moins interroger celles de l’église ? — Nous y trouvons des documens fort nombreux, les Actes des martyrs ; et, si cette mine était aussi sûre qu’elle est riche, la question serait résolue. Par malheur, la plus grande partie de ces pièces ne mérite aucune confiance. En 496, le pape Gélase, dans le fameux décret où il distingue les livres authentiques des apocryphes, disait qu’on ne fit pas les Actes dans les églises de Rome « parce qu’on n’en connaît pas les auteurs et que des mains infidèles ou ignorantes les ont surchargés de détails inutiles ou suspects. » Au XVIIe siècle, un pieux ecclésiastique, Tillemont, y signale des fautes grossières contre l’histoire, les institutions et les lois romaines, et en rejette un très grand nombre. Quand dom Ruinait entreprit de trier cette masse énorme de récits légendaires que le moyen âge nous a laissés et de mettre à part les plus véridiques, il n’en trouva qu’à peu près cent vingt qui lui semblèrent irréprochables ; ce sont ceux-là même qui ont paru à Voltaire si ridicules et qui lui ont fourni l’occasion d’exercer son impitoyable raillerie.

Il y a donc fort peu de ces Actes qui, sous la forme où nous les possédons, puissent être attribués aux premiers siècles de l’église. Je ne puis m’empêcher d’être fort surpris de cette rareté. Les chrétiens avaient un grand intérêt à les recueillir, et il leur était aisé de le faire. Nous venons de voir que les archives des tribunaux contenaient sans aucun doute la minute de tous les jugemens rendus contre leurs frères. Ils n’avaient qu’à s’en procurer des copies, et il est sûr qu’ils l’ont fait quelquefois. De cette façon ils pouvaient