Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans tous les cas, les argumens principaux ayant été fournis et développés des deux côtés, je ne crois pas qu’il soit téméraire ou prématuré de conclure.

Nous pouvons le faire avec d’autant plus d’assurance que la question n’est pas à proprement parler une question religieuse. Elle le serait, si l’on pouvait affirmer que la vérité d’une doctrine se mesure à la fermeté de ses défenseurs. Il y a des apologistes du christianisme qui l’ont prétendu ; ils ont voulu tirer de la mort des martyrs la preuve irrécusable que les opinions pour lesquelles ils se sacrifiaient devaient être vraies : « On ne se fait pas tuer, disent-ils, pour une religion fausse. » Mais en soi ce raisonnement n’est pas juste, et d’ailleurs l’église en a ruiné la force en traitant ses ennemis comme on avait traité ses enfans. Elle a fait elle-même des martyrs, et il ne lui est pas possible de réclamer pour les siens ce qu’elle ne voudrait pas accorder aux autres. En présence de la mort courageuse des vaudois, des hussites, des protestans qu’elle a brûlés ou pendus sans pouvoir leur arracher aucun désaveu de leurs croyances, il faut bien qu’elle renonce à soutenir qu’on ne meurt que pour une doctrine vraie. Dès lors, il n’importe guère à la vérité du christianisme qu’il ait été plus ou moins persécuté et que le nombre de ceux qui ont versé leur sang pour lui soit plus ou moins considérable. Ce n’est plus qu’une question historique qu’on doit aborder avec le même calme que les autres, et j’avoue, pour moi, que je ne puis comprendre les passions qu’elle a jusqu’ici excitées.

C’est dans cet esprit que je vais tenter de la traiter, et il me semble que, lorsqu’on n’y apporte pas de prévention, tout y devient simple et clair. Comme je n’ai d’autre intention, dans les pages qui suivent, que de résumer ce qu’ont dit des écrivains autorisés, le lecteur y retrouvera beaucoup d’opinions qu’il connaît ; mais je n’y cherche pas la nouveauté : je voudrais seulement mettre en lumière quelques points qui, dans cette histoire, telle que la science nous l’a faite, me paraissent incontestables.


I

On a longtemps pris à la lettre ce que Sulpice Sévère et Paul Orose nous racontent des persécutions de l’église. Personne n’a douté, pendant tout le moyen âge, que, depuis Néron jusqu’à Constantin, il n’y en ait en neuf ou dix (suivant que l’on compte ou que