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A trois heures de l’après-midi la Néréide laisse tomber l’ancre sous l’îlot de Sacrificios. L’escadre dispersée va se concentrer. La Gloire, la Créole, l’Iphigénie, reviendront bientôt de La Havane, où l’amiral les a détachées ; la Médée, le La Pérouse, l’Alcibiade, le Cuirassier, le Voltigeur, le Du Petit-Thouars sont déjà sur rade. Le 7 novembre, arrivent, inestimable renfort, les deux navires à vapeur le Météore et le Phaéton ; puis surviennent deux bombardes, le Cyclope et le Vulcain, accompagnées du brick le Zèbre, la Fortune que l’on convertira en hôpital, la Naïade, la Caravane, l’Oreste et la Sarcelle. Les bricks l’Éclipse et le Laurier croisaient entre Tampico et Tuxpan. Un ouragan les a désemparés. L’Éclipse peut encore servir ; quant au Laurier, ce n’est plus qu’une épave : son capitaine l’a laissé à la Havane et est passé avec tout son équipage sur l’Iphigénie. « Honneur à l’Éclipse ! Honneur au Laurier ! écrira l’amiral Baudin. Je considère mes forces actuelles comme suffisantes pour un coup de main décisif. Notre plus grand obstacle est la saison : les vents soufflent presque continuellement du nord, avec une violence qui rend toute opération impossible, mais il ne faut qu’une nuit de calme, sans lune, précédée et suivie d’un jour de beau temps. »

Comment s’était établie cette confiance ? Par des reconnaissances, bien imprudentes sans doute, qui n’en méritent que mieux d’être racontées. Le commandant Le Ray, de la Médée, partait pour Mexico le jour même de l’arrivée au mouillage, avec l’aide-de-camp de confiance de l’amiral, le lieutenant de vaisseau Page. Il allait sommer le gouvernement mexicain de répondre enfin catégoriquement aux réclamations de la France. Un capitaine d’infanterie mexicain, don Calisto Zaragoza, lui servait de guide et d’escorte. Si ce Zaragoza était le futur général que nos troupes rencontreront en 1862 dans la plaine de Puebla, la coïncidence est assez curieuse pour qu’on la signale. Le commandant Le Ray emportait l’ordre de ne pas attendre la réponse du congrès au-delà de trois jours : si l’on voulait se trouver en mesure de mener à bonne fin les opérations avant l’hivernage, il n’y avait pas un instant à perdre. Dans la nuit du 3 au 4 novembre, l’amiral envoie reconnaître le plateau de la Gallega. Le plan d’attaque qui a obtenu l’adhésion du conseil de guerre convoqué par le commandant Bazoche est aussi celui vers lequel les préférences de l’amiral semblent incliner. « Le but de la reconnaissance que vous allez faire ce soir, écrit-il au prince de Joinville, est seulement de chercher sur le récif une partie guéable par laquelle on puisse s’approcher de la forteresse. » et c’est un prince, un fils de France, que l’amiral croit devoir charger de ce soin ! N’y a-t-il pas lieu de s’en étonner ? Quel otage on s’expose à mettre aux mains des Mexicains !