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ces batteries basses est de 350 mètres environ. Tout cet ensemble de fortifications est armé de 186 bouches à feu (103 pièces de bronze et 83 pièces de fer). L’aspect en est imposant et la réputation plus imposante encore : le fort de Saint-Jean-d’Ulloa est généralement tenu pour inexpugnable. Cependant un officier d’une rare valeur, qui, sous un déguisement audacieux, est parvenu à le visiter, qui en a étudié de près les défenses, qui en a compté homme par homme la garnison, s’étonne qu’on ose mettre en doute « que 1,500 matelots français, disposant de 200 canons, avec plus de munitions de guerre que n’en renferme peut-être toute la république du Mexique, soient en état d’emporter un fort occupé par 800 Mexicains, femmes et enfans, vieillards, galériens, déguenillés, mal armés, mourant de faim, dont 400 ou 500 seulement peuvent combattre. »

Le lundi, 4 juin 1838, le conseil de guerre se rassemble : les débats n’amènent aucune décision. Le président, le commandant Bazoche, renvoie au lendemain la mise aux voix des projets présentés. Le 5 juin, il expose le plan qui lui paraît satisfaire le mieux aux exigences de la situation : ce plan consiste à pénétrer dans la rade de Vera-Cruz par la passe de l’Est. Les deux frégates seront embossées par le travers du bastion de Saint-Crispin, à portée de fusil de la muraille ; la fusillade et le tir des pierriers placés dans les hunes se joindront au feu des batteries pour expulser les défenseurs du bastion et du cavalier qui le domine ; on donnera ensuite l’escalade soit à l’aide d’un ponton, soit en faisant accoster de petits navires disposés à cet effet.

Le côté hasardeux d’un tel coup de vigueur ne pouvait échapper aux officiers expérimentés qui composaient le conseil de guerre. Le chenal, que les frégates devront suivre, nous l’avons déjà dit, est étroit et sinueux ; en quelques endroits, il n’offre que 24 pieds de profondeur et la levée constante qu’y produit la houle ne peut être évaluée à moins de 2 pieds. Admettons qu’on le franchisse sans accident ; lorsqu’on sera embossé sous les murs de la forteresse, on sera pris d’écharpe par les feux croisés des fortins bâtis aux deux extrémités de la ville. Chacun de ces fortins pourra braquer sur les frégates trois canons de 24. Le commandant Bazoche propose de masquer ces ouvrages en leur opposant les batteries des deux bricks de vingt canons dont la station dispose. Un brick français de vingt canons, soutenu par le feu de deux frégates et embossé à la distance de 350 toises d’un fortin mexicain, sans épaulemens, sans parapets, de 20 pieds à peine de hauteur, armé de dix canons, ne pourra-t-il donc faire taire trois canons de 24, seules pièces que la direction du tir permettra aux