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sur le Suffren, fut, pendant plus d’un an, occupé à transporter des troupes de Toulon en Algérie. L’hiv »-r fut rude, les luttes, pour un si gros vaisseau, quelquefois périlleuses, la mission sans charme ; le commandant du Suffren fit bravement son devoir, sans faste aussi bien que sans murmure. Le 28 avril 1838, il était nommé contre-amiral : l’expédition du Mexique l’attendait. Le 13 août, il en prit le commandement.


II

La génération actuelle n’a probablement gardé aucun souvenir de la succession de révoltes qui aboutit, après des luttes opiniâtres et sanglantes, à l’affranchissement des colonies espagnoles. La perte du Mexique fut surtout sensible à l’Espagne : à diverses reprises des efforts furent tentés pour recouvrer une possession qui donnait à la métropole accès sur deux mers et lui assurait annuellement un revenu de 20 millions de piastres. Une partie des armées qui avaient fait, non sans, gloire, la guerre de la Péninsule, s’usa dans ce long conflit ouvert en 1810, par l’insurrection du curé Hidalgo et terminé, le 11 septembre 1829, par la capitulation du général espagnol Baradas, à l’embouchure de la rivière de Tampico. Le général mexicain Santa-Anna, gouverneur de Vera-Cruz, avait été le premier à prendre les armes contre cette suprême tentative d’invasion : les sympathies de l’armée et du clergé l’investirent de la dictature. En dépit de quelques convulsions passagères, on peut dire que Santa-Anna, tantôt sous son propre nom, tantôt sous le nom de ses créatures, exerça, pendant près de vingt ans, un pouvoir absolu sur ce vaste territoire de 2,346,621 kilomètres carrés, le cinquième de l’Europe, et quatre fois au moins la superficie de la France, territoire où vivait dispersée, avec de longs intervalles de déserts, une population de neuf millions environ d’habitans.

Sans avoir plus qu’une autre le goût de l’anarchie, cette population en avait pris peu à peu l’habitude. Elle vivait tiraillée entre le centralisme et le fédéralisme. Les étrangers établis au Mexique auraient désiré un régime moins irrégulier : ils se plaignaient, avec vivacité, des exactions que les partis en lutte leur faisaient subir, et plus d’une fois des demandes d’indemnités furent présentées au parti qui détenait momentanément le pouvoir. Les Mexicains répondaient invariablement : « Nous sommes une nation en révolution ; nous subissons toutes les conséquences de l’état révolutionnaire : les émeutes, les exactions, les jugemens iniques, les pillages, les assassinats. Les étrangers qui sont venus s’établir sur