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Presque tous les Européens qui résident dans ces îles sont aux gages de la compagnie allemande et de la maison Ruge, ou trafiquent pour elles. En ce qui concerne les relations commerciales, l’exploitation du sol et le mouvement maritime, ces deux établissemens dominent la situation, grâce à l’importance des capitaux engagés, à l’activité éclairée des directeurs, à la réputation de solidité dont ils jouissent, mais il faut bien le dire aussi, grâce à l’absence d’une concurrence sérieuse.

J'ai vu et observé l’Allemand sur différens points du globe. Je l'ai rencontré partout et je l’ai trouvé partout le même. Il a peut-être oublié sa langue, ce qui lui arrive parfois, surtout à la seconde génération ; il a adopté quelques-uns des usages du milieu où il vit, quelques conforts qu'il ne connaissait pas dans le Vaterland, mais, en tout ce qui touche à la tournure d’esprit et au caractère, il reste allemand. Il est d’ordinaire intelligent, toujours frugal, sobre, économe, patient, persévérant, courageux, mais pas jusqu'à la témérité. Il ne vise pas aux gains rapides et n’aime pas à se risquer. À ce sujet il se distingue de l’Anglo-Saxon qui, plus entreprenant que lui, cherche les aventures hasardées et, très souvent, en sort avec succès. l’Allemand avance un peu plus lentement, mais plus sûrement ; il reste où il a pris racine et ne se laisse pas évincer. Enfin, l’Allemand, si l’on parle en particulier des classes populaires, est plus instruit et mieux préparé que ne l’est d’ordinaire l'Anglo-Saxon de la même couche sociale, à s’adapter aux exigences d'une situation nouvelle ; comme cultivateur, il partage avec l’Écossais la réputation d’être le premier colon du monde.

Tout ce qu'on voit à Samoa lorsqu'il s’agit de l’élément blanc, porte l’empreinte allemande. Il n’y a ici, comme il a été dit, que deux maisons, qui monopolisent de fait l’exploitation de ces îles, et qui cumulent le négoce avec la culture. Ce système offre de grands avantages ; il peut aussi, dans certaines circonstances, avoir de grands inconvéniens. Jusqu'ici les plantations d’Upolu ne donnent aucun profit. Si les Allemands de Samoa ont à craindre la concurrence étrangère, ils jouissent ici, de toute façon, des bénéfices du beatus possidens. Jusqu'à présent, l’esprit d’entreprise du capitaliste anglais et australien trouve dans d’autres archipels du Pacifique un champ d’activité trop vaste, pour avoir besoin de s’attaquer aux fortes positions occupées dans ces îles par les deux maisons hambourgeoises.

Somme toute, en comparant les Anglais et les Allemands, tels que je les ai vus à l’œuvre, je trouve entre eux une grande affinité, et je ne constate ni chez les uns ni chez les autres aucune trace de décadence. Ils n’ont qu'à vouloir pour réussir. Ce sont des pairs entre les nations. Seulement l’Angleterre est plus riche que l’Allemagne,