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apprenant le retour d’Egypte du général Bonaparte : je mourrais moi-même aujourd’hui de douleur de voir l’empereur quitter la France, si je pensais qu’en y restant il pût encore quelque chose pour elle. Mais il faut qu’il ne la quitte que pour aller vivre honoré dans un pays libre, non pour mourir prisonnier de nos rivaux. Comptez donc sur moi, monsieur le baron, et agréez l’assurance de tout mon respect. — Bayadère, rade du Verdon, 4 juillet 1815, quatre heures du matin. »

Cette lettre expédiée, le capitaine Baudin prit sur-le-champ les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de son projet. L’embargo fut mis sur tous les navires qui descendaient la rivière. Le jour où la Bayadère appareillerait avec l’empereur à son bord, liberté leur serait rendue : ils sortiraient probablement tous à la fois et partageraient ainsi l’attention de la croisière anglaise.

La rade du Verdon n’est pas à plus de quinze lieues de Rochefort. Dans la journée même arriva la réponse du baron de Bonnefoux : l’empereur approuvait les propositions du capitaine Baudin et lui faisait savoir « qu’il n’avait qu’à l’attendre. » Le capitaine Baudin attendit. Un jour, deux jours, trois jours, huit jours se passèrent dans cette anxieuse attente ; quarante navires étaient retenus par l’embargo, la croisière anglaise grossissait tous les jours : le commandant de la Bayadère crut devoir expédier à Rochefort un courrier. En réponse il reçut l’invitation de lever l’embargo. Le 11 juillet, au coucher du soleil, le vent étant favorable pour sortir par les trois passes du sud, de l’ouest et du nord, le signal qui affranchissait la flotte marchande de toute contrainte fut hissé. Les quarante navires mirent à la voile : chacun faisant route pour sa destination, ils se trouvèrent bientôt dispersés en éventail. La Bayadère appareilla la dernière. Nul obstacle à l’horizon ; aussi loin que la vue pût s’étendre, la mer était libre : la croisière anglaise se montrait éparpillée, courant, pour les visiter, d’un navire à l’autre. La Bayadère aurait réussi à passer !

« Je revins à mon poste dans la nuit, poursuit le capitaine Baudin, et le lendemain matin, comme je descendais à terre, au Verdon, je rencontrai, se dirigeant vers la Bayadère, un bateau pêcheur qui portait un officier de marine. » Cet officier n’était autre que le général Lallemand déguisé. Le capitaine Baudin apprit par lui ce qui s’était opposé à l’adoption de son plan. Plusieurs des personnes qui entouraient l’empereur mettaient tous leurs soins à le détourner d’aller aux États-Unis : elles jugeaient mal l’Angleterre et croyaient pouvoir garantir au nouveau Thémistocle un accueil honorable au foyer britannique. Le foyer britannique, ce n’était — l’histoire ne l’oubliera pas — qu’une étape sur la route de Sainte-Hélène. Le