Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/766

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brièvement les circonstances qui interrompirent une carrière que nous avons vue s’ouvrir sous de si heureux auspices[1].

Le 7 mai 1815, le capitaine Baudin commandait en rade de l’île d’Aix la corvette de trente-deux canons la Bayadère. L’acte additionnel aux constitutions de l’empire est soumis à la ratification du peuple français : l’état-major et l’équipage de la Bayadère sont invités, avec tout le corps de la marine, à consigner leurs votes sur un registre. Voici la déclaration que le commandant Baudin dicte à ses officiers :

« Si la France, paisible et heureuse, pouvait sans craindre ni dissensions intérieures, ni invasion de l’étranger, discuter à loisir les institutions qui lui conviennent, aucune puissance au monde ne nous contraindrait à voter en faveur de l’acte qu’on nous propose aujourd’hui. Mais la patrie est en danger, l’Europe nous menace de toutes parts et le devoir de tous les vrais Français est de se rallier autour du chef du gouvernement, de faire cause commune avec lui contre l’ennemi commun. Nous donnons donc notre consentement à l’acte additionnel et nous faisons signer avec nous tous nos subalternes. Cependant nous devons à notre honneur, nous devons à notre conscience de déclarer que nous sacrifions aujourd’hui notre opinion personnelle au salut de la France. Lorsque l’ennemi extérieur aura été repoussé, lorsque tous les dangers qui menacent notre existence politique seront écartés, nous nous réservons de réclamer des institutions plus complètement libérales. »

Enthousiasme des anciens jours, où t’étais-tu donc réfugié ? Si tous les marins partageaient, à cette époque, l’opinion des officiers de la Bayadère, si la flotte, gagnée par la contagion générale, se montrait à ce point raisonneuse, c’en était fait de la marine de 1812. Napoléon revenu de l’Ile d’Elbe, accueilli dans Paris, ne devions-nous pas l’accepter tout entier, l’accepter avec ses ailes et avec ses serres. Lui rendre l’épée, le sceptre, et vouloir le charger d’entraves, était assurément la pire combinaison que put nous suggérer notre humeur inquiète. Admirez cependant les contradictions humaines : le malheur va soudain rendre au vainqueur d’Austerlitz son auréole. Il est des cœurs qui ne résistent pas à la séduction de l’infortune ; le cœur du capitaine Baudin était de ceux-là. Après le coup de foudre de Waterloo et l’abdication de l’empereur, le gouvernement provisoire s’était engagé à mettre à la disposition du souverain déchu deux frégates, la Saale et la Méduse. Ces frégates, mouillées en rade de l’île d’Aix, devaient transporter l’empereur en Angleterre. Napoléon arrive à Rochefort le 3 juillet. Il y trouve bien les frégates promises, mais non pas les sauf-conduits des gouvernemens étrangers, garantie

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février, la Marine de 1812.