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le ministère a été mis en minorité avec l’aide de la brigade irlandaise, qui s’est tournée tout entière contre lui. C’est le fond de la situation ! c’est la brigade irlandaise, conduite par M. Parnell, qui décide de la lutte entre les partis anglais, et qui l’a décidée, cette fois, contre le ministère conservateur.

Que va-t-il maintenant sortir de cette crise nouvelle ? Tout en vérité devient assez obscur dans les affaires britanniques. Lord Salisbury, sans tenter de se raidir contre un vote qui pouvait d’ailleurs se reproduire à tout instant, s’est empressé de porter sa démission à la reine, à Osborne, et au premier abord M. Gladstone semblait évidemment seul désigné pour reprendre le pouvoir qu’il a abandonné il y a quelques mois. C’est lui qui a vaincu, c’est lui qui a l’ascendant et la popularité dans le parlement comme dans le pays. La situation de M. Gladstone est cependant étrange. On sait aujourd’hui que ce grand vieillard, avec son audace naïve, est tout prêt, s’il revient au gouvernement, à entreprendre les réformes les plus larges, les plus imprévues pour l’Irlande. Il reste sûrement fidèle à l’unité de l’empire britannique, il le croit ; il n’est pas moins résolu à aller jusqu’à la dernière limite du possible dans la politique du home-rule. Or cette œuvre audacieuse, sans doute fort périlleuse, il ne peut l’accomplir, la tenter que dans des conditions singulièrement nouvelles, avec les radicaux, dont M. Chamberlain est un des chefs et au besoin avec M. Parnell lui-même, s’il veut y consentir. Il ne peut plus guère compter sur le concours des vieux whigs, comme lord Hartington, M. Goschen, qui hésitent à le suivre, qui ont même déjà soutenu le ministère tory dans le vote où celui-ci a succombé. — De sorte que l’Angleterre se trouve entre deux politiques : l’une avouant hautement l’intention de réprimer l’agitation irlandaise, toute tentative contre l’unité de l’empire, — l’autre, acceptant la pensée d’une autonomie équivalant à une sorte d’indépendance pour l’Irlande. La reine essaiera-t-elle d’échapper à cette alternative avec un ministère de transition ou de transaction par l’alliance des libéraux qui tendent à se séparer de leur vieux chef et des conservateurs modérés ? Autre question : le ministère qui va se former, quel qu’il soit, peut-il vivre avec un parlement où les Irlandais décident à tout instant de la majorité ? Les difficultés se pressent devant l’Angleterre, elles deviennent un vrai drame où c’est, après tout, le sort d’un grand empire qui est en jeu.


CH. DE MAZADE.