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que M. le ministre de la guerre s’est cru obligé de déférer à ces dénonciations, de changer les garnisons, de déplacer les régimens ainsi désignés à ses soupçons.

Si M. le ministre de la guerre, dans le sentiment de sa responsabilité, par des raisons d’un ordre tout militaire et de service dont il est seul juge, dont il ne doit compte qu’au gouvernement, avait considéré comme nécessaires des changemens de garnison, il était dans son rôle et dans son droit, il n’y avait rien à dire ; ce qu’il y a de grave, c’est que ces mesures de police militaire s’accomplissent sous la dictée ou la sommation de journaux organisateurs de délation, par des motifs de défiance vague, pour cause de tendances présumées. Jusqu’ici l’armée était restée à peu près à l’abri des malfaisantes influences de parti. La politique avait pu avoir quelquefois sa part dans le choix des chefs des commandemens supérieurs, elle avait épargné ce grand corps des officiers français. Doit-elle aujourd’hui, sous un nouveau ministère, poursuivre son œuvre de partialité et de dissolution jusque dans les rangs de l’armée ? Il est étrange, on en conviendra, que ceux qui sont les premiers à réclamer le service obligatoire pour tous s’étonnent de trouver dans l’armée des représentans de toutes les classes et qu’après avoir tant parlé de l’unité nécessaire dans cette armée, ils essaient de souffler la division en créant des catégories. Ces officiers qu’on incrimine, qu’ont-ils fait ? Est-ce qu’ils sont des privilégiés ? Ils ont subi toutes les épreuves, ils ont leurs grades comme les autres ; comme les autres ils ont toujours été, ils sont encore prêts, on l’avoue, à faire leur devoir, à se dévouer pour le pays sans souci de leur vie. Ils sont, à tous les degrés, les chefs d’une armée obéissante et fidèle. Accoutumés à rester en dehors de la politique, ils sont disciplinés sous la république comme ils le seraient sous la monarchie. Toucher à cet esprit de discipline et de fidélité au devoir militaire par d’indignes suspicions, par des délations vulgaires, ce n’est point certes une œuvre de prévoyance, même dans l’intérêt du régime qu’on croit défendre ; c’est tout simplement ce qu’on peut appeler de la désorganisation.

On parle toujours dans les messages, dans les déclarations ministérielles, dans les discours, de la stabilité désirable, de la nécessité de fonder un gouvernement ; on répète sans cesse la même chose, et c’est assurément la plus dangereuse des chimères de se figurer qu’on peut réussir en procédant comme on le fait, en favorisant des idées avec lesquelles il n’y a pas de gouvernement possible, en s’alliant à des partis qui ont la destruction pour objet, et qui ne le cachent pas. Qu’il s’agisse des affaires de l’armée, des affaires de religion, des affaires de justice, on croit bien habile, pour avoir une majorité prétendue républicaine, de se mettre avec ceux qui déclarent ouvertement la guerre à l’esprit militaire, aux influences religieuses, à