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financier et en même temps elle laisse entrevoir toutes sortes de dépenses pour la nouvelle loi militaire, pour la construction des écoles, pour l’augmentation du traitement des instituteurs. Elle promet l’organisation des protectorats de l’Annam et du Tonkin, et elle a bien soin, pour faire sa cour à l’extrême gauche, d’accompagner sa promesse d’un désaveu de la politique opportuniste, qui garde toute la responsabilité des expéditions lointaines. — Est-elle décidément pour la séparation de l’église et de l’état, pour cette grande et dangereuse rupture qui est à coup sûr beaucoup moins dans les vœux du pays que dans les programmes du radicalisme ? Elle n’ose pas aller tout à fait jusque-là ; elle s’en remet un peu à l’action du temps, à la libre discussion, au « rayonnement des idées. » Elle laisse pourtant percer la menace d’une rupture violente, et, en attendant, M. le ministre des cultes se charge de préparer le terrain, de « faire sentir le poids de son autorité » par l’exécution des desservans et des vicaires frappés dans leurs modestes traitemens. M. le président du conseil, il faut l’avouer, a une étrange façon de comprendre les affaires religieuses. Il parle de la séparation de l’église et de l’état comme d’un problème irrésistible, il accepte d’avance ce qu’il appelle « les solutions conformes aux tendances de l’esprit moderne, » et il s’étonne que le clergé, que les consciences religieuses s’émeuvent ! Il voudrait, à ce qu’il dit, « l’apaisement, » et il ne craint pas, pour plaire à ses nouveaux alliés, de s’associer, dans son langage officiel, à toutes les passions de guerre contre l’église ! — Il y a enfin un autre point sur lequel le programme ministériel est tout aussi significatif. La déclaration de l’autre jour aux chambres livre sans rémission tous les malheureux fonctionnaires aux ressentimens, aux délations de parti. Tous les fonctionnaires administratifs, financiers, aussi bien que les curés, sont prévenus qu’ils n’ont plus la liberté de leurs opinions, qu’ils doivent suivre en tout les instructions des préfets, et qu’au besoin on fera à leur égard les « exemples nécessaires, » — qu’on les exécutera sans doute comme de simples desservans de campagne ! Voilà qui est entendu.

Ce qu’il y a de bien évident en définitive, c’est que cette déclaration, qui ne pouvait satisfaire ni les conservateurs, ni les modérés républicains, ni même les opportunistes si lestement désavoués, a été surtout conçue pour complaire aux radicaux, à l’extrême gauche, et elle a été autrement comprise ainsi, puisque c’est au camp radical qu’elle a en tout son succès. — Eh bien ! soit. La déclaration l’assure, c’est entendu. On demandera désormais aux fonctionnaires, non plus le dévoûment au service de l’état, mais tout d’abord une complicité politique, la soumission au préfet. Pour peu qu’on en soit pressé, on ne disputera plus aux passions révolutionnaires et irréligieuses cette grande et redoutable question de la séparation de l’église et de l’état. Provisoirement, M. le ministre des cultes continuera à exécuter des