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bavard, ni Racine, qui avait un sentiment délicat de toutes les convenances, n’ont rien dit ni paru rien connaître de l’histoire où l’on les mêle. Faut-il y croire ? N’y faut-il pas croire ? Mais il faudrait l’examiner. Laissant de côté ce tout petit problème, j’aurais souhaité du moins que M. de Baillon développât une juste indication de Voltaire et de Sainte-Beuve. « Dans toutes les cours, dit ce dernier, qui avaient précédé de peu celle de Madame : à Chantilly, à l’hôtel Rambouillet et alentour, il y avait un mélange d’un goût déjà ancien et qui allait devenir suranné. Avec Madame commence proprement le goût moderne de Louis XIV ; elle contribua à le fixer dans sa pureté. » Voilà qui méritait qu’on le commentât, qu’on l’interprétât, qu’on le suivit plus loin. Madame était extrêmement naturelle, avec une entière absence d’apprêt, ou même un air de négligence, et elle fit le goût de la cour, qui régla celui du siècle. Les amoureux de Racine sont des Guiche ou des Louis XIV ; il y a quelques traits de Madame dans les Henriette, les Éliante, les Elmire de Molière ; Boileau lui-même, à cette école, raffina son goût d’abord un peu gaulois et même un peu bourgeois. Les salons, après l’avoir tiré de la grossièreté du XVIe siècle, eussent gâté l’esprit français ; la cour le sauva des salons, et dans la cour, celle qui dix ans y fut ou y parut être l’arbitre des plaisirs, des fêtes et des élégances.

Enfin, le caractère lui-même de Madame ne parait pas assez nettement indiqué dans le livre de M. de Baillon. Coquette, elle le fut sans doute, et sa coquetterie faillit un jour la mener loin, quand elle en essaya l’effet sur Louis XIV ; mais elle fut surtout ambitieuse. « Les mouvemens de son cœur, dit Mme de Motteville, portaient cette princesse à suivre âprement tout ce qui ne lui paraissait pas criminel et tout à fait contraire à son devoir. » Aprement ! La bonne dame en savait quelque chose par sa propre expérience, ayant été chargée par la reine mère de morigéner doucement l’imprudente Henriette ; mais le mot est juste, et d’autres témoignages, comme celui de La Fare, en confirment la justesse. Il y avait je ne sais quoi d’impérieux sous l’affabilité de Madame, et dans ses airs d’étourderie, dans son désir de plaire, un goût très vif de domination. Elle était douce aux doux, et bonne à qui ne la contrariait point. C’est ce qui éclate assez dans l’acharnement qu’elle mit à perdre La Vallière, parce qu’elle craignait que La Vallière, après le cœur, ne s’emparât de l’esprit et peut-être de la politique du roi. N’était-ce pas une maîtresse aussi, la comtesse de Castelmaine, depuis duchesse de Cleveland, qui menait alors la cour et les résolutions de Charles II, roi d’Angleterre ? Si l’on avait mieux la dans les vrais desseins de Madame, on eût peut-être moins insisté sur le roman de ses amours. Ses galanteries les plus compromettantes ne lui sont guère qu’un moyen d’intrigue ; au travers de tant de complications où elle se jette comme à plaisir, elle vise obstinément un