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attendant Rose et le duo suivant ont une largeur singulière. Nous songions à l’air du loup en parlant de l’auteur du Freischütz. Si par le contour mélodique il rappelle Mozart, par sa coupe hachée, par la succession des mouvemens, même par certains détails d’orchestre, il est presque digne de Weber.

Le duo final est un chef-d’œuvre. Rose demande à l’ermite la fin d’un récit commencé la veille. Mais bientôt elle s’étonne de ne pas reconnaître la voix accoutumée. Et puis le bon père lui conte d’étranges histoires. Il lui prend la main, il a l’œil allumé : Ah ! jamais, bon ermite, ici, Vous ne prîtes ma main ainsi. Quelle rapidité dans la progression, dans cette suite de récitatifs précipités ! Comme on sent redoubler chez les deux personnages l’inquiétude et le désir jusqu’à l’explosion de la terreur et de l’amour presque brutal, mais aussitôt retenu ! La courte phrase de Rodolphe est douce comme une caresse ; mais elle n’arrête pas longtemps l’élan de ce duo, qui reprend plus ardent et plus passionné. Jamais avant Boïeldieu la musique n’avait en cette puissance dramatique, qu’elle retrouvera chez Herold, notamment dans le dernier duo de Zampa.

L’année 1825 est mémorable à jamais dans l’histoire de la musique française. L’apparition de la Dame blanche fut un événement national. Jamais œuvre d’art n’excita de plus vifs transports. La première soirée fut triomphale, Boïeldieu traîné sur la scène et acclamé. A peine était-il rentré chez lui que le public s’amassa devant ses fenêtres. L’orchestre, encore tout ému, vint lui donner une sérénade. Amis, artistes, arrivèrent en si grand nombre, que Rossini, logé au-dessous de Boïeldieu, dut ouvrir aussi son appartement. Il le fit avec une grâce charmante, et le maître de la Dame blanche embrassa en pleurant le maître du Barbier. Tous deux s’aimaient d’ailleurs et vivaient dans l’intimité. Boïeldieu reportait volontiers un peu de sa gloire sur Rossini ; mais celui-ci n’en acceptait pas l’hommage. « Jamais, disait-il, un Italien, fût-ce moi-même, n’aurait écrit la scène de la vente. Nous aurions mis partout des Felicita ! felicita ! rien de plus. » Et de fait Rossini eût traité sans doute ce finale autrement que Boïeldieu. N’oublions pas cependant (et au fond il ne l’oubliait pas lui-même) qu’il venait d’écrire le merveilleux finale du Barbier. Ce n’est pas toutefois que ces deux pages offrent une grande analogie. Elles valent par des mérites divers : l’une par la puissance, par l’intensité mélodique ; l’autre, par la légèreté et la variété des épisodes. Dans Rossini, tous les effets sont condensés ; ils sont dispersés dans Boïeldieu. Néanmoins, la Dame blanche trahit un peu l’influence du Barbier. C’est à lui qu’elle doit cette abondance de mélodies, cette profusion d’idées qui fait sa gloire, d’autres aujourd’hui disent sa misère.

Hélas ! le mot n’est pas trop dur. Les connaisseurs ne discutent