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chœurs de soldats ou de postillons avec des fouets qui claquent. On parle déjà beaucoup moins de l’opérette, et, d’ici peu, l’on pourrait bien n’en plus parler du tout. La trivialité et la caricature l’ont tuée.

Ce n’est pas à l’opérette qu’il faut revenir, c’est l’opéra-comique qu’il ne faut pas abandonner. Encore une fois, il n’impose à ses fidèles ni le désaveu du présent, ni le renoncement à l’avenir. Ce genre est le plus souple de tous, et son histoire prouve sa docilité. Nous le verrons spirituel et sentimental avec les musiciens du XVIII" siècle, touchant avec Boïeldieu, romantique avec Herold, facile et un peu bourgeois avec Auber, bruyant et excessif avec un maître trop puissant pour lui, Meyerbeer, ramené enfin à ses véritables proportions par quelques-uns de nos contemporains. Nous le verrons marcher toujours avec le temps, accepter de lui les réformes et les progrès. Depuis le Déserteur de Monsigny jusqu’à Carmen de Bizet, à travers le répertoire le plus riche, l’opéra-comique change sans s’altérer, se transforme sans se dénaturer. Partout se retrouvent en lui, à un degré plus ou moins éminent, mais toujours vivaces, ses qualités originelles, ses beautés natives et nationales : la clarté, le goût et surtout la mesure. Toujours tempéré, toujours moyen, il a fait à notre France, entre ses deux harmonieuses voisines, l’Allemagne et l’Italie, une place plus modeste sans doute, mais aussi légitime et aussi assurée ; les Allemands eux-mêmes le savent bien, et c’est Henri Heine, qui, dans Lutèce, parle ainsi du Déserteur : « Voilà de la vraie musique française ! La grâce la plus sereine, une douceur ingénue, une fraîcheur semblable au parfum des fleurs des bois, un naturel vrai, vérité et nature, et même de la poésie. Oui, cette dernière n’est pas absente ; mais c’est une poésie sans le frisson de l’infini, sans charme mystérieux, sans amertume, sans ironie, sans morbidezza, je dirais presque une poésie jouissant d’une bonne santé. » L’éloge est judicieux, éloigné du compliment banal. Heine avait l’intelligence de tous nos mérites, l’enthousiasme de toutes nos gloires, allions-nous dire, si le mot n’était un peu bruyant. N’exaltons pas notre sujet outre mesure. L’opéra-comique est au-dessous des grandes formes musicales de la symphonie et de l’opéra, ces hauts sommets où seule la muse allemande reste éternellement debout. Nous n’avons jamais en de symphoniste, et le grand opéra français, comme on l’a nommé, créé chez nous et pour nous, l’a été par Rossini et par Meyerbeer, qui n’étaient pas des nôtres. Notre œuvre, à nous, c’est l’opéra-comique ; ce n’est que lui, mais nous y avons excellé. L’Allemagne envie notre aisance, et l’Italie notre distinction. L’une a la main trop lourde, l’autre l’a trop légère pour ces trames serrées et flexibles à la fois, qui sont nos canevas d’opéras comiques. L’Allemagne a perdu le secret de la grâce et de la facilité ; chaque jour elle se raidit et se guindé, et croirait descendre