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pour la froide, sèche et rêche personne de l’avocat d’Arras. Cependant qui oserait prétendre aujourd’hui que les travaux de M. Louis Blanc et des écrivains qui, sans être de son école, ont suivi sa trace, n’aient pas exercé, sur l’opinion publique, au point de vue de la justice distributive, une heureuse et morale influence ? Nous placions Vergniaud, Barbaroux, Buzot, Mme Rolland surtout, infiniment trop haut, dans le même temps que nous chargions Robespierre de toutes les iniquités imputables à la Convention entière, sauf quelques rares exceptions, comme Lanjuinais, par exemple. L’écart aujourd’hui semble moins grand et la part de responsabilité de chacun est mieux établie.

Pareillement pour M. Taine, quelles ne furent pas chez la plu-pari la surprise et chez quelques-uns l’indignation à l’apparition de son second volume ! Nous en étions encore à la conception rudimentaire et sentimentale d’une révolution toute d’amour et de fraternité, menée par une assemblée de législateurs incomparables. Soudain, le scalpel en main, avec la méthode et la patience d’un naturaliste, voici qu’un téméraire auteur s’avise de regarder derrière ce décor et de démonter cette machine de convention. Alors apparaissent, dans le pays tout entier, comme une sorte de germination vénéneuse, l’anarchie spontanée ; dans la constituante l’indécision, la faiblesse, la peur ; dans l’œuvre politique dont elle accouche après deux années de gestation, un beau préambule, une déclaration solennelle et c’est tout. L’enfant n’est pas né viable, la mort l’attend faute d’organes[1].

Loin de s’en plaindre et lors même qu’il blesserait d’anciennes et chères illusions, il faut se féliciter de cet effort persévérant vers le vrai pour le vrai, et ce sera l’honneur de l’école historique actuelle d’avoir fait, de cette sincérité dans la recherche, la condition première de tout travail estimable. Ces réflexions me sont suggérées par une publication, — je ne dis pas, à dessein, un livre, — dont l’auteur s’est proposé de restituer une des physionomies les plus intéressantes et les moins connues de l’époque révolutionnaire. Avant de dire mon sentiment sur cet essai, je tenais à en bien marquer la légitimité. A plus d’une reprise déjà, M. le colonel Yung, avec la compétence qui lui est propre, nous avait donné la mesure de Bonaparte. Plus récemment et par une suite naturelle, il entreprenait de glorifier la mémoire de Dubois-Crancé. Soit ; après le déboulonnement du faux, l’apothéose du vrai grand homme. Ceci devait amener cela, et la logique ici se trouve d’accord avec la liberté qu’a chacun de préférer le mérite incompris et modeste aux

  1. Il ne s’agit ici, bien entendu, que de la partie purement politique (constitution et constitution civile du clergé).