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pusse le suivre, il eut le temps de virer de bord lof pour lof, et de mettre le cap sur sa frégate. Ma mâture et mon gréement étaient hachés : j’avais quarante-deux hommes sur cent huit hors de combat ; il ne me restait d’autre parti à prendre que d’entrer à Saint-Tropez pour y rallier mon convoi et pour réparer mes avaries. Le Swallow, de son côté, fut rejoint par l’America et par le Curaçao. Il fit ensuite route pour Malte.

« Il était à peu près trois heures de l’après-midi, lorsque j’entrai à Saint-Tropez. Nos blessés furent transportés sur-le-champ à terre ; je restai à bord, quoique souffrant cruellement de ma blessure. Vers le soir, la crise nerveuse devint extrêmement intense ; mes muscles se contractaient, mes dents se serraient, un engourdissement général gagnait tous mes membres. A ces symptômes, je reconnus l’approche du tétanos, dont j’avais été déjà menacé lorsque je perdis le bras sur la Sémillante. Je me fis préparer un bain de lessive ; cette décoction alcaline eut pour effet de calmer aussitôt l’agitation nerveuse. Trois jours après j’étais debout. »

L’historien de la marine anglaise, William James, n’a pas passé cette affaire sous silence. Sa version diffère peu du récit de l’amiral Baudin ; la prétendue intervention du Goéland y joue seulement un rôle destiné à justifier la retraite du capitaine Sibly, qui parait, du reste, avoir été un officier de cœur et de mérite. L’engagement à portée de pistolet dura, suivant James, quarante minutes, « Le Swallow, dit l’historien anglais, avait beaucoup souffert dans ses voiles, son gréement, sa mâture et sa coque. Sur un équipage de 109 hommes présens à bord, il eut 6 hommes tués et 17 blessés. La perte du Renard fut de 14 hommes tués et de 28 blessés, y compris son brave commandant, atteint au moignon du bras que, quelques années auparavant, il avait honorablement perdu. L’armement du Renard consistait en 14 caronades de 24 et deux canons longs de 6. Le Swallow, commandé par le capitaine Reynolds Sibly, portait 16 caronades de 32 et deux canons longs de 6. »


V

Le Renard n’était plus un commandement qui convînt au jeune officier que l’empereur, à la nouvelle de ce beau combat, s’était, par un décret daté de Smolensk, hâté de nommer, le 22 août 1812, capitaine de frégate. On eût pu se borner à donner au nouveau promu une corvette : on fit grandement les choses ; on lui donna une frégate, la Dryade. Cette frégate de quarante-quatre canons, construite sur les plans de M. Sané, par un ingénieur de haut mérite, M. Boucher, venait d’être lancée à Gênes. Les