finissait, honneur et force, dans leur maturité, de deux autres gouvernemens successivement emportés par la tourmente révolutionnaire, je les ai presque tous connus au début de ma carrière. Quand je parle marine, il m’est bien difficile de ne pas répéter involontairement leurs leçons ; quand j’interroge le passé pour y puiser des exemples, ce n’est jamais sans un certain regret que j’invoque d’autres souvenirs que ceux de leurs exploits. Ai-je besoin, en effet, de rétrograder jusqu’à Louis XIV pour apprendre à la génération en qui repose notre fortune à venir comment on franchit un goulet réputé inexpugnable ? L’entrée de vive force d’une escadre à voiles dans le Tage, entreprise que n’osèrent, au temps de notre occupation, affronter les Anglais, est, à coup sûr, un fait d’armes dont auraient été fiers les Duquesne et les Duguay-Trouin. La prise du château de Saint-Jean d’Ulloa, « ce Gibraltar des Indes » assis sur un récif, honore-t-elle moins les armes françaises que le bombardement de Gênes ou le bombardement d’Alger ? Saint-Jean d’Ulloa, Tanger, Mogador, ce sont des résultats complets et décisifs, obtenus avec de chétifs moyens sur des côtes au plus haut degré périlleuses. Que pourrions-nous donc demander de mieux aux lointaines légendes des vieux siècles de gloire ? Que nous promettra de plus éclatant notre formidable marine à vapeur, avec ses puissantes machines, ses flancs invulnérables et son artillerie monstrueuse ?
À côté de ces noms sacrés par la victoire, j’aurais bien d’autres noms illustres à citer, quand même je voudrais me borner à la période de renaissance qui commence en 1809 pour finir en 1814. Rosamel, Dupotet, de Mackau, Hugon, Lalande, de Rigny, Roussin, Baudin, de La Susse, Parseval, sortent de l’école qu’ont fondée les Duperré, les Emériau, les Bouvet, les Hamelin, les Motard, les Cosmao, les Plassan, les Bourayne, — si j’en oublie, on voudra bien remarquer que j’omets à dessein le nom de mon père. — Tous ces hommes de guerre, si remarquables à des titres divers, avaient un trait commun qui m’a vivement frappé : ils ne mettaient rien au-dessus de la prise d’une frégate anglaise.
Des frégates anglaises ! on n’en a jamais pris beaucoup. L’amiral Roussin, près de qui j’ai passé de si longues heures, quand de cruelles souffrances le condamnaient, après deux ministères, à l’inaction, m’a très peu parlé de sa campagne du Tage ; en revanche, il ne se lassait pas de m’entretenir de ses croisières dans l’Inde. L’amiral Baudin n’eût point échangé, j’en suis convaincu, son combat du Renard contre la conquête de tout le Mexique. Aussi le jour où, cédant aux sollicitations de ses enfans, le vainqueur de Saint-Jean d’Ulloa et de la Vera-Cruz essaya de rassembler ses souvenirs, consentit même, par un suprême effort, à les