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à ses protestations officielles et on lui savait gré des assurances et des explications qu'il donnait spontanément, avec l'accent d'une parfaite sincérité. On en arrivait à reconnaître en l'écoutant qu'on avait tort de s'alarmer, que rien n'était compromis, que nos agens se méprenaient lorsqu'ils affirmaient que la Prusse ne renonçait à rien, qu'elle spéculait sur nos défaillances et qu'elle armait sans relâche. On était convaincu, après des relations amicales si heureusement rétablies, qu'avec de la bonne volonté de part et d'autre, toutes les difficultés s'aplaniraient. L’empereur étant décidé à ne pas se montrer pointilleux, et, M. de Bismarck affirmant qu'il ne pousserait pas ses avantages à outrance et qu'il éviterait de fournir des prétextes légitimes à nos susceptibilités, rien ne devait empêcher les deux gouvernemens de vivre en paix et de se seconder mutuellement. On oubliait déjà que les portes de l'exposition universelle, à peine ouvertes, avaient failli brusquement se refermer sous les menaces d'une agression imprévue, alors que la cession du Luxembourg devait être un gage de réconciliation. On avait beau vouloir se le dissimuler, les protestations pacifiques, quelle que fût leur sincérité, ne suffisaient pas pour résoudre les questions sorties des événemens de 1866. Tout développement donné aux tendances germaniques prenait fatalement au point de vue des rapports internationaux un caractère fâcheux, irritant. Ce que la Prusse croyait naturel et légitime, en ne tenant compte que de ses convenances, froissait et compromettait les intérêts de ses voisins. C'était là ce qu'il y avait de dramatique dans cette situation, gouvernée par une triste et violente logique.

L'heure du départ approchait. La cordialité la plus vive avait présidé aux rapports personnels des souverains. Le roi rendait hommage aux sentimens pacifiques de l'empereur, il parlait avec admiration de la beauté de l'impératrice. Mais aucune des difficultés qui nous touchaient particulièrement n'avait été serrée de près. La vie de Paris, si fiévreuse à ce moment, ne se prêtait guère aux entretiens d'affaires, qui étaient rares, hâtifs, contrariés par les fêtes que la cour des Tuileries prodiguait à ses hôtes. Il était urgent cependant de sortir des généralités, des protestations banales, et de donner corps aux idées qu'on avait fugitivement échangées. Il importait de ne pas laisser échapper une occasion qui jamais peut-être ne se présenterait plus, et de préciser, avant de se séparer, sous une forme quelconque, protocole ou pro memoria, les bases d'une entente.

Les relations de notre ministre des affaires étrangères et du ministre prussien, malheureusement, étaient tendues. La timidité un peu hautaine du marquis de Moustier et l'orgueil parfois agressif du comte de Bismarck enlevaient à leurs rapports le liant qu'exigent