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le sourd gémissement de la Saxe, qui, se voyant prise dans un nœud coulant, cherchait à se dégager et se plaignait qu’on l’étranglât. Ces concerts n’avaient rien qui pût les ravir[1]. »

Après avoir surexcité les passions unitaires, M. de Bismarck se trouvait en face d’un affaissement symptomatique. Abandonné momentanément des sympathies de l’Allemagne, il en était réduit à la tâche ingrate d’administrer et de s’assimiler des populations mécontentes, de se défendre contre d’ardentes inimitiés et de pactiser avec un parti dont les tendances répugnaient à ses principes. Il ne pouvait plus maintenir son prestige et son autorité qu’en flattant les passions nationales par la fierté de son attitude diplomatique.

« Laissez dormir le traité de Prague tant que le parlement sera réuni et surtout ne provoquez pas d’incident, » nous avait dit le baron Nothomb[2] au lendemain des élections. Ses conseils n’étaient pas à dédaigner, il était avisé, perspicace ; c’est lui, qui, à l’avènement du comte de Bismarck, s’était demandé s’il serait Richelieu ou Alberoni. L’incident que ce sage prévoyait ne devait pas tarder. Malgré la prudente réserve de notre diplomatie, il se produisit sous la forme d’une circulaire retentissante ; le ministre prussien affirmait à l’improviste, sans motif apparent, le droit qu’avait l’Allemagne de se constituer librement au gré de ses aspirations ; il disait, il est vrai, qu’il s’abstiendrait de toute pression sur les états du Sud, mais il ajoutait, au mépris de la ligne du Main, consacrée par les préliminaires de Nikolsbourg, qu’il leur ouvrirait à deux battans les portes de la Confédération du Nord le jour où il leur plairait d’en réclamer l’entrée.

Les nationaux libéraux s’étaient plaints du discours du trône à l’ouverture du Reichstag ; ils l’avaient trouvé incolore, décourageant. C’était pour la première fois depuis Sadowa que le roi, en s’adressant au pays, n’avait fait aucune allusion aux aspirations germaniques. Ils auraient-voulu qu’il affirmât hautement le droit de l’Allemagne de se constituer à sa guise, au mépris du traité de Prague. Grisés par le succès, ils ne connaissaient plus d’obstacles ; ils empiétaient sur les prérogatives de la couronne en concertant une adresse[3] pour stimuler les ardeurs patriotiques du souverain

  1. M. Victor Cherbuliez, l’Allemagne nouvelle.
  2. Le ministre de Belgique à Berlin. Voir son portrait dans l’Affaire du Luxembourg, page 132.
  3. « Notre œuvre ne sera achevée, disait l’adresse, que par l’entrée du Sud dans la Confédération du Nord. Une force irrésistible s’oppose à tout pas en arrière. Nous sommes convaincus que les gouvernemens confédérés, en marchant résolument à leur but, n’auront pas à redouter la contestation de nos droits à une existence nationale. La nation allemande, confiante en elle-même et décidée à repousser toute tentative d’immixtion étrangère, maintiendra, quoi qu’il arrive, son droit incontestable en l’appuyant au besoin sur la force. »