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gouvernemens aurait pu s’établir d’une façon plus discrète et surtout moins blessante pour sa cour.

La politique et les fêtes avaient dénaturé la pensée généreuse dont s’inspirait l’empereur en allant à Salzbourg. Les pieux et tristes souvenirs qui réunissaient les deux cours avaient servi de prétexte à de bruyantes démonstrations, à de frivoles distractions. L’Europe entière avait été mise dans la confidence de projets d’alliance, et les deux gouvernemens que nous avions tout intérêt à ménager, se sentant menacés, nous témoignaient hautement leurs ressentimens. C’était une faute nouvelle à ajouter à tant d’autres. « Quand deux grands princes s’entrevoyent, disait Philippe de Commines, pour cuider appaiser différends, telle venue est plus dommageable que pourfictable, mieux vaudrait qu’ils les pacifiassent par sages et bons serviteurs[1]. » L’entente entre la France et l’Autriche résultant de l’identité de leurs intérêts, il était superflu de la proclamer publiquement et de l’enregistrer dans un mémorandum sans portée contractuelle. C’est par des traités mystérieusement élaborés par la diplomatie, soit à Paris, soit à Vienne, qu’il aurait fallu solennellement la consacrer.

Lorsque Frédéric II trahissait la cour de Versailles et passait aux Anglais, il ne se doutait pas, tant les pourparlers avaient été secrètement menés, que Louis XV et Marie-Thérèse, sous la pression des événemens, dans une situation qui n’était pas sans analogie avec celle de 1867, s’étaient de leur côté rapprochés et liés. Mais l’esprit politique qui pèse, prévoit et combine, semblait disparaître de plus en plus des conseils de l’empire. On se croyait encore maître des événemens et l’on était à leur merci. L’empereur avait conscience de ses erreurs, mais il lui répugnait d’en mesurer la portée et de croire qu’elles fussent irrémédiables. Il préférait s’étourdir et s’en rapporter à ceux qui lui disaient que rien n’était changé en Europe, que son prestige n’était pas atteint, que l’équilibre des forces n’était pas rompu et que l’influence de la France n’était pas diminuée par les deux puissances militaires qu’il avait laissées se constituer à nos frontières. Et cependant son autorité morale s’amoindrissait ; sa voix si écoutée avant la guerre était méconnue. Il était l’objet de provocations, et pour éviter des conflits, il se voyait contraint de justifier ses démarches, d’atténuer les actes de sa chancellerie, de s’expliquer sur ses armemens. Au lieu d’affirmer une politique indépendante, résolue, il en était réduit à louvoyer, à se prémunir contre les surprises d’un adversaire implacable qui, sous l’égide d’un grand souverain et avec l’appui d’une admirable armée dirigée par un grand stratégiste, consacrait son génie, mêlé d’audace et d’artifices,

  1. Commines, Mémoires, ch. VIII.