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Augsbourg était une ville chère à l’empereur, il y retrouvait les mélancoliques souvenirs de l’exil. Il tenait à revoir la maison qu’avait habitée sa mère, la reine Hortense, et à visiter le collège Sainte-Anne, où il avait fait ses premières études. Il parcourut les salles et s’arrêta aux places que ses maîtres lui assignaient. Le temps avait respecté le nom de Louis-Napoléon, qu’un jour il avait gravé sur la bordure d’une fenêtre. L’écolier était devenu empereur, mais l’Allemagne de ses jeunes années, paisible, studieuse, inoffensive, s’était réveillée transformée ; il la revoyait, par le fait de ses erreurs, agitée, ambitieuse, menaçante. Quel contraste ! Quel désenchantement pour un souverain qui croyait assurer la prépondérance à son pays en proclamant le principe des nationalités !

Le roi Louis était descendu des hauteurs du château de Berg, où il vivait inaccessible à ses sujets, pour complimenter leurs majestés impériales à leur passage à travers la Bavière. Il les enchanta par la bonne grâce de son accueil, par le charme et l’originalité de son esprit. Il tint à honneur de les accompagner jusqu’à Rosenheim, à la frontière de l’Autriche. L’empereur voyageant incognito, sa majesté bavaroise ne crut pas devoir lui présenter le président de son conseil, qui s’était rendu à la gare. C’était pousser loin les scrupules de l’étiquette, mais c’est ainsi qu’on la pratiquait du temps de Louis XIV. L’incident ne passa pas inaperçu ; l’empereur, dès qu’il en eut connaissance, fit dire au prince de Hohenlohe qu’à son retour il serait charmé de lui serrer la main.

Ce fut un spectacle émouvant lorsque les deux empereurs, qui ne s’étaient pas revus depuis Villafranca, se retrouvèrent en présence. François-Joseph seul connaissait alors les revers, Napoléon III commençait à les appréhender à son tour, mais il était loin de pressentir les tragiques vicissitudes que lui réservait un prochain avenir.

La politique a d’étranges retours et de bizarres contradictions. L’Autriche, que nous avions combattue au nom du principe des nationalités, allait devenir notre auxiliaire pour enrayer en Allemagne le mouvement national que nous avions soutenu contre elle en Italie. Entre 1859 et 1867 la contradiction était flagrante : Salzbourg était la contre-partie de Villafranca.

Il était évident que la politique ne resterait pas bannie de l’entrevue, malgré les protestations préventives de la diplomatie autrichienne et de la diplomatie française. Personne n’admettait que les souverains de deux grands pays, passant cinq jours dans une étroite intimité, s’abstiendraient de parler de l’état de l’Europe et de leur situation réciproque. La question allemande les mettait en présence de la Prusse, la question d’Orient les plaçait en face de la Russie. L’empereur, il est vrai, n’emmenait pas de ministre, mais tout le