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de Kossuth jetaient le gant aux autorités constituées ; les Croates, mécontens de la part qui leur était faite dans la réorganisation de l’empire, refusaient de se faire représenter à la diète de Pesth ; la Bohême et la Moravie étaient minées par la propagande panslaviste et la Prusse, sous main, assistait la Russie dans le travail de désagrégation qu’elle poursuivait le long du Danube. Aussi le cabinet de Vienne, aux prises avec des difficultés sans cesse renaissantes, en était-il réduit à rassurer le cabinet de Berlin sur ses tendances, à affirmer ses sentimens germaniques et à protester contre toute arrière-pensée agressive.

Le gouvernement français, de son côté, s’efforçait de tranquilliser et de ramener M. de Bismarck. La confiance publique était ébranlée ; la crainte d’un conflit paralysait les affaires ; elle était exploitée par les partis hostiles. L’empereur et ses ministres sentaient la nécessité de rassurer les esprits. Ils demandaient à l’ambassadeur du roi de recommander la modération à sa cour, de se porter garant de leurs sentimens pacifiques et de faire ressortir les difficultés de leur tâche, en face d’une opinion publique déçue, nerveuse, excitée par les ennemis de la dynastie. Ils s’épanchaient avec lui en toute confiance ; ils oubliaient ses perfidies passées, l’action paralysante qu’il avait exercée sur nos déterminations au mois de juillet 1866, et les argumens que par ses rapports alarmans, au dire de M. de Bismarck, il avait fournis au parti militaire prussien pour s’opposer à la cession du Luxembourg. Il est vrai que M. de Goltz s’était amendé. Les évolutions lui coûtaient peu. Il avait repris, comme en 1865, le contre-pied de la politique de son ministre ; il cherchait alors à l’entraver dans son essor, il s’appliquait maintenant à le représenter comme un brouillon en voie de compromettre les résultats si glorieusement obtenus par la sagesse du roi et la vaillance de son armée. Il laissait entrevoir que, le jour où il siégerait dans les conseils de son souverain, les relations de la France et de la Prusse ne laisseraient rien à désirer. D’ailleurs son admiration pour l’impératrice Eugénie avait pris le caractère d’une passion qui semblait être le gage de sa sincérité.

L’ambassadeur promit d’être auprès de sa cour l’interprète chaleureux des protestations qu’il avait recueillies aux Tuileries et de représenter l’entrevue projetée à Salzbourg comme une simple visite de condoléance. Il devait prendre les eaux en Allemagne, il passa par Ems avant d’aller à Kissingen. C’était nous rendre un réel service. Il était indispensable que le représentant de la Prusse à Paris s’expliquât une bonne fois avec son gouvernement sur les difficultés que la politique impériale rencontrait dans l’œuvre de pacification à laquelle elle se consacrait, parfois au détriment de sa popularité, en se heurtant à tout instant à des susceptibilités