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lorsqu’il s’agit de glorifier « le chef, » a été jusqu’à prétendre que M. de Bismarck, à l’heure où s’ouvraient les hostilités, aurait fait parvenir au cabinet devienne les plus stupéfiantes propositions. Bien qu’il fût l’allié de l’Italie et l’obligé de la cour des Tuileries, le ministre prussien aurait offert à l’Autriche de procéder en commun à une brusque et audacieuse volte-face contre la France, de lui arracher l’Alsace et d’en faire de compte à demi, l’appoint de remaniemens politiques et territoriaux en Allemagne. C’était admettre que l’Autriche trahirait ses alliés : la Bavière, la Saxe et le Wurtemberg, et méconnaîtrait le traité de neutralité que, le 12 juin, elle avait signé avec la France. Il est des limites que la diplomatie la plus osée ne saurait franchir. La Prusse, à la veille de la guerre de Bohême, ne conçut pas d’aussi ténébreux desseins ; elle ne songeait qu’à l’anéantissement de sa rivale. « Le système que nous proposons à l’Italie, écrivait le comte Usedom, au nom de son gouvernement, à la date du 19 juin, est celui de la guerre à fond ; il faut que les coups portés à l’Autriche frappent à la fois ses extrémités et son cœur. »

il en coûte peu aux historiographes d’accréditer des légendes, de subordonner la probité à l’habileté et d’attribuer à la prévoyance ce que Frédéric II, dans sa philosophie, attribuait simplement à « Sa Majesté le Hasard. »

Le conseiller du roi Guillaume ne laissa pas de se montrer grand politique, au lendemain des foudroyantes victoires de l’armée prussienne. Il comprit, en face de l’intervention française, avec une merveilleuse lucidité, le rôle que l’Autriche, réconciliée, jouerait dans son échiquier diplomatique. Il eut, suivant l’expression du prince de Talleyrand, « de l’avenir dans l’esprit. » Il fit savoir à l’empereur François-Joseph par M. Giskra, le bourgmestre de Brünn, que, s’il voulait éconduire le médiateur, il lui ferait un pont d’or.

Plus tard, lorsque éclata l’affaire du Luxembourg, il offrit à la cour de Vienne, en retour de son alliance, de lui garantir ses possessions allemandes et temporairement ses possessions non allemandes ; il lui promettait en outre une série d’avantages politiques et économiques. M. de Beust resta inébranlable. On connaît la réponse qu’il fit au négociateur bavarois, le comte de Taulkirchen, l’intermédiaire du cabinet de Berlin : « Une alliance, disait-il, prévoit la défaite et la victoire. Je sais ce qui m’attend en cas de défaite, mais que m’offrirez-vous en cas de victoire ? Sans doute un exemplaire richement relié du traité de Prague. »

Le comte de Bismarck n’était pas homme à se laisser arrêter par des épigrammes. Il n’en poursuivit qu’avec plus d’obstination, par tous les moyens, légitimes ou occultes, par des alternatives de menaces et de caresses, le but que sa volonté puissante s’était tracé : réduire la maison de Lorraine au rôle de satellite de