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origines plutôt qu’il n’est défini comme une raison exacte et suffisante de ces origines. Le transformisme lui-même, qui est à la base de l’évolution, peut-il être accepté comme définitivement établi, et quel savant peut le considérer comme intégré à la science positive ? Malgré tant d’observations ingénieuses et de recherches, il est l’objet de controverses aussi vives que le premier jour où Darwin a produit sa pensée. À force de travail patient et de hasards heureux, la doctrine transformiste parvient de temps en temps à conquérir quelques échelons dans la série des formes vivantes et des espèces, et quelques faibles apparences de transition possible ; puis une lacune se présente, que rien ne peut combler ; l’enchaînement des types se rompt d’une façon irréparable ; il semble que tout est à recommencer. Tant que les choses resteront en cet état, qui oserait dire que le transformisme est autre chose qu’une hypothèse ? et si cela est vrai des idées de Darwin, à plus forte raison peut-on le dire de l’évolution, qui est la synthèse de la nature tout entière.

Quel nombre effrayant de suppositions gratuites, de postulats arbitraires, d’assertions sans preuve exige ce processus universel, éternel, hors de toute proportion avec la pensée humaine, qui embrasse tous les phénomènes sans exception, depuis le mouvement des corps célestes jusqu’à la formation de la première cellule, depuis la cellule, berceau de la vie naissante, jusqu’à l’éclosion en pleine lumière de la conscience humaine ! Certes il y a de la force d’esprit à chercher dans la poussière cosmique et dans les lois du mouvement qui s’y appliquent la formule explicative du monde, de toutes les variétés de phénomènes et d’êtres qu’il contient, de toutes les transformations qu’il a subies jusqu’à ce jour et qu’il devra subir dans un avenir indéfini. Cela est bien tentant de substituer à la conception d’une cause intelligente le mouvement éternel, seul père de la nature. Mais combien d’objections se lèvent à chaque pas sur le chemin de cette hypothèse colossale ! Que d’intermédiaires inexplicables et d’obstacles à franchir à travers tous ces stades échelonnés le long de cette route immense ! L’existence absolue de la matière affirmée a priori, l’homogène immobile, inexplicable en soi ; l’hétérogène, non moins inexplicable, introduit dans cette substance primitive et en repos ; l’identité des forces physiques et vitales ; la genèse des formes spécifiques par une commutation réciproque ; l’équivalence et la corrélation des forces brutes et des forces mentales ; la transformation du mouvement moléculaire en sensation et en conscience, que l’on pose tout en la déclarant incompréhensible ; voilà bien des postulats, imposés comme la rançon obligatoire à chaque passage d’un ordre de phénomènes ou d’un système d’êtres à un autre. Mais une objection plus générale nous arrête, dès le