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posait nullement de faire une œuvre de contre-révolution, et ce mot même de contre-révolution le choquait ; il le prenait à partie, il considérait comme un ridicule ahus de polémique tout ce qui ressemblait à une évocation de l’ancien régime, d’un passé irrévocablement aboli. Il déclarait sans embarras la révolution française « acquise, inaliénable, impérissable » dans ses grandes garanties, dans ses conquêtes essentielles. Lorsqu’il y a douze ans, la question du drapeau s’élevait parmi les royalistes de l’assemblée de 1871, il allait à Versailles, il n’hésitait pas à se prononcer contre l’abandon du drapeau tricolore, quelle que fût l’opinion de M. le comte de Chambord ; il portait à Versailles ce qu’il appelait « les impressions d’un rural, » d’un témoin sincère, qui, vivant plus près des populations, savait mieux ce que pensait le pays.

Il n’éprouvait aucune peine à sentir avec son pays, à être de son temps, et précisément aussi parce que, dans ses sentimens de royaliste et de catholique, il restait toujours mesuré, il était exposé à toutes les attaques, à toutes les violences des polémiques. Pendant que les uns voyaient toujours en lui le réactionnaire fougueux, le clérical à outrance, d’autres, dans son propre camp, lui faisaient un crime de sa modération et l’accusaient d’être un libéral, un parlementaire, un tacticien prêt à toutes les défaillances ! C’était tout simplement un politique clairvoyant, qui, sans se refuser aux luttes sérieuses quand il le fallait, gardait le plus souvent dans ses relations comme dans ses opinions, une dignité aisée, une affabilité gracieuse, un sentiment très fin de ce qui était possible. Il n’avait plus depuis longtemps d’autre titre que celui de membre de l’Académie française, qui l’avait élu il y a près de trente ans ; il ne quittait guère que pour l’Académie ou pour quelques amis cette retraite où il vient de s’éteindre et où il est resté jusqu’au bout un personnage français éminent par le caractère comme par l’esprit.

La politique de l’Europe réussira-t-elle à se dégager de toutes ces malheureuses complications orientales soulevées et aggravées par la dernière guerre entre la Serbie et la Bulgarie ? C’est encore le problème qui occupe les gouvernemens et dont la solution coulera, selon toute apparence, plus d’un effort à la diplomatie, si elle veut décidément mettre un frein aux impatiences et aux prétentions de ces états, toujours si agités, des Balkans. Pour le moment, tous les cabinets semblent s’être mis à cette œuvre méritoire de pacification. Ils désirent tous la paix, cela n’est pas douteux ; la question est de savoir dans quelle mesure les uns et les autres voudront ou pourront prêter leur concours. La Russie, à ce qu’il semble, en est encore à vider sa querelle, pour ainsi dire personnelle, avec le prince Alexandre de Battenberg, qu’elle accuse toujours de l’avoir trompée, et si l’union bulgare