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Dans cette maisonnette où les honnêtes gens ne viennent guère, — entre une servante dont il subit la camaraderie et un enfant inconnu, recueilli par Sapho, voleur par instinct et déjà par habitude, — Jean éprouve un malaise chronique, traversé bientôt, grâce à la jalousie, par des souffrances aiguës. D’où tombe-t-il, cet enfant? Il remue les souvenirs d’un passé fangeux. Mis en humeur de tout savoir, de se torturer, de se rassasier de douleur, Gaussin lit, une à une, les vieilles lettres de tous les amans de Sapho ; il en exige, avec des cris de honte et de rage, le sacrifice; une à une, elle les brûle, ces lettres, presque toutes signées de noms fameux, et qui étaient le dossier de sa gloire aussi bien que de son infamie; agenouillée près de lui, elle les jette au feu jusqu'à la dernière, celle du graveur condamné pour elle : n’est-ce pas une lâcheté? Tant pis : il la demande, lui, l’honnête homme; elle l’accorde comme une preuve d’amour: tant il est vrai que, dans une telle situation, le plus noble des deux s’avilit, et que l’autre, pour lui complaire, risque de ne trouver encore que de viles actions! — Une bonne œuvre, cependant, Sapho en a fait une : ce garçonnet qu'elle a recueilli est le fils du graveur. Après un répit occupé par la visite des Hettéma, ce couple ignominieux et ridicule, et du père de Sapho, le cocher de fiacre (M. Hettéma dit à Jean : «Ah! vous êtes en famille! ») voici que Déchelette, en passant, révèle à Jean, par mégarde, cette malencontreuse bonne action, et que la jalousie du jeune homme est à nouveau déchaînée. Une scène éclate, moins poignante que celle où flambent les lettres, mais plus violente, aussi riche en traits de caractère, de passion et de mœurs, Jean veut partir, retourner dans sa famille; Sapho soupçonne qu'on l’y rappelle pour le marier; dans sa fureur, l’ancienne ordure amassée au fond de son âme lui remonte aux lèvres; elle rend insulte pour insulte; elle crible de boue ces honnêtes gens, qu'elle voit dressés devant elle comme des ennemis, qu'elle ne connaît pas, qu'elle suppose pareils à tout ce qu'elle connaît, qu'elle déteste et qu'elle méprise. Et la suprême invective que l’ancien modèle jette dans le dos de son amant, mis en fuite par cette bordée, l’avez-vous entendue ? « Bourgeois ! » lui crie-t-elle.

Voilà, dans un même acte, à peine séparés par une pause, deux duos qui ne sont pas pour dilater le cœur et dont le second s’achève en charivari ; mais ne sont-ils pas imaginés par un maître en l’art de faire vibrer les cordes humaines, et ne sont-ils pas écrits comme il convient pour le théâtre? Une seule fausse note, encore est-ce dans l’accompagnement : c’est l’intervention du père de Sapho qui me fâche, de ce cocher eu houppelande et chapeau de cuir. Elle me paraît la seule faute contre la vraisemblance des personnes dans cet ouvrage, comme certaine allégorie de Jean, au quatrième acte, certaine fable qui pourrait s’intituler : la Femme, le Singe et le Chat, me paraît la seule faute contre