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Sans être un vil bétail, quand on parcourt aujourd'hui les larges avenues de la nouvelle ville, l’impression est saisissante. Ce qui frappe, ce n’est pas tant la pittoresque silhouette de quelque palais en construction, encore emmailloté d’échafaudages, coiffé d’un enchevêtrement de charpentes inachevées ; ce n’est pas le contraste entre la belle ordonnance d’édifices flambant neuf et les cahutes de bois qu'ils dominent de toute la hauteur et de tout l’orgueil de leurs colonnades. On n’est point seulement en face d’un spectacle peu banal et par conséquent curieux, d’un grand effort accompli, d’une émouvante quantité de travail humain accumulée en peu de temps sur un même point. On sent par-dessus le marché qu'on a affaire à une œuvre de longue haleine et de haute portée, conçue avec ampleur, mûrie avec soin et appelée à des développemens bien autrement surprenans que l’ébauche vigoureuse que l’on a devant les yeux.

Tout d’abord cette ville s’appelle La Plata, et ce nom n’a en soi rien de modeste. Il implique la prétention d’en faire à brève échéance une des plus importantes places commerciales, et comme qui dirait la personnification, au point de vue des échanges internationaux, des vastes états que l’on englobe sous ce nom générique.

Pour une cité d’aussi fraîche date, cette ambition peut paraître singulière. Elle serait outrecuidante dans de vieux états, où les courans du commerce sont depuis longtemps canalisés et ne se laissent pas détourner d’une façon arbitraire de la direction que les siècles leur ont tracée. On y a bien vu de temps en temps la fantaisie d’un souverain essayer de se substituer aux lents effets des forces économiques qui président à la formation des grandes villes. Presque toujours le résultat a démontré que la tentative était vaine, et qu'en pareille matière le temps ne consacre que les œuvres auxquelles il a collaboré. Il n’en va pas de même dans des pays neufs. En Europe même, Saint-Pétersbourg est une expérience presque contemporaine : la Russie était toute neuve quand elle y a réussi ; mais c’est surtout dans des contrées dont la population augmente par des alluvions du dehors, et qui changent d’aspect à vue d’œil, que la création de centres improvisés et rapidement prospères n'est pas une utopie, une entreprise au-dessus du pouvoir de l'homme. Sans doute il ne lui est pas permis là plus qu'ailleurs de faire violence aux lois naturelles ; mais il peut en aider singulièrement la marche et en accélérer les effets.

Puisque nous voilà en présence d’une ville au berceau, essayons donc de tirer son horoscope, comme dans les contes de fée, dont le souvenir revient à l’esprit par une involontaire association d’idées, en présence de phénomènes aussi en dehors de nos habitudes. Ici l'horoscope n’est point fondé sur les caprices d’un pouvoir occulte. Il s’appuie sur l’observation de causes très simples, qui acquièrent